Francesca la Trahison des Borgia
inutilement. Il avait détaché ses cheveux bruns aux très légers reflets roux, qui lui retombaient aux épaules. De visage il ressemblait bien plus à sa mère (la redoutable Vannozza Cattanei) qu’à son père, ayant hérité de son long nez droit et de ses grands yeux en amande. Il avait été encore plus que d’habitude au soleil, et était très bronzé. En public il portait les vêtements que l’on attendait d’un jeune homme de haute naissance, mais ce soir-là il s’était mis à l’aise et n’avait plus qu’une ample chemise et des chausses.
Apparemment cela faisait un petit moment qu’il était chez moi, car outre sa tenue et la bouteille de vin qu’il avait dénichée, il était pieds nus.
— Laisse-moi te regarder, fit-il en posant la coupe.
Il me déshabilla là, dans le garde-manger, ôtant mes habits l’un après l’autre. Je ne l’aidai pas, mais n’opposai pas non plus de résistance. Les toilettes féminines n’avaient aucun mystère pour lui ; il en eut vite terminé. Lorsque je fus nue, il recula d’un pas et m’observa longuement, des pieds à la tête.
— Tu es couverte de bleus.
— Ah bon ? Je n’avais pas remarqué.
— Lucrèce dit que tu as achevé cette canaille.
Ainsi la fille du pape était-elle au courant de mon agression ; cela ne m’interpella même pas. En dépit de sa jeunesse, Lucrèce comprenait fort bien la valeur de l’information et avait ses propres espions.
Les mains de César tremblaient. Des mains calleuses, brunies par le soleil, faites pour empoigner une épée ou une lance, mais qui tremblaient au contact de ma peau laiteuse.
Quelque chose se brisa alors en moi. Sofia croyait que je ne m’autorisais pas à ressentir les choses, mais elle avait tort : je les ressentais par trop. La terreur, lorsque le cauchemar revenait me hanter, comme il le faisait bien trop souvent ; le plaisir, quand je tuais ; et, toujours, ce désir déchirant pour la vie qui aurait pu être mienne si seulement j’avais été quelqu’un de différent, un sentiment qui m’enfermait dans un paradoxe où jamais je n’obtiendrais ce que je désirais sans provoquer en même temps ma propre extinction.
Tous ces sentiments montèrent en moi au moment où je touchai César, fis glisser ma main le long de son bras musclé, entrecroisai mes doigts dans les siens et m’avançai tout à coup, sans penser à rien, pour prendre sa bouche dans la mienne. Mon amant ténébreux se laissa faire, car en bon chasseur il paraissait comprendre et accepter mes besoins.
Je crois même, à la vérité, qu’une partie de lui en était très fière. Peut-être songez-vous qu’au vu de sa naissance, tout lui était apporté sur un plateau d’argent ; mais le fait est que ce qui comptait vraiment pour lui, il devait s’en emparer par la seule force de sa volonté. Tout, sauf moi. Même cette première fois, sous le regard indiscret de Calixte, c’était moi qui l’avais pris et non le contraire.
Je le revois encore, un moment plus tard, me relever du sol d’ardoise du garde-manger (où nous nous étions couchés, oublieux des désagréments) en éclatant de rire, et me porter dans ses bras jusqu’à ma chambre. Nous tombâmes sur le lit, nos membres s’entrelaçant, nos bouches se cherchant. Droguée de plaisir, c’est à peine si je sentis les larmes qui se mirent à couler sur mes joues, jusqu’à ce que César les recueille sur sa langue et me fasse partager leur goût salé sur la mienne.
— Me diras-tu un jour ce qui te tourmente ?
Je détournai la tête, laissant mes larmes rouler sur l’oreiller tout en resserrant mon étreinte et en l’attirant plus profondément encore. Il gémit alors et ferma les yeux, sa question oubliée, ainsi que tout le reste, ne serait-ce que pour le moment.
Plus tard, alors que je m’attardais dans le lit, la respiration lente et régulière, l’esprit (par bonheur) vide, César se leva et alla dans le garde-manger. Il en revint avec du vin, du pain, du fromage, de la saucisse et Minerve. Cet homme qui avait vécu toute sa vie entouré d’une foule de domestiques prêts à répondre à ses moindres désirs, mais qui jusqu’à la fin de cette même existence préféra de loin partager un repas simple avec ses hommes ou bien dans le lit d’une amante, me fit le service.
Nous mangeâmes, nous donnant la béquée l’un à l’autre, buvant dans la même coupe et riant des pitreries du chaton jusqu’à ce qu’elle
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