Francesca la Trahison des Borgia
tranquille, le temps qu’il feigne de me jauger.
Lorsqu’il parut satisfait de voir son message passé, je pris la parole :
— C’est que j’étais accaparée par mon travail, Votre Sainteté.
Il agita une main, comme pour écarter toute possibilité qu’il puisse en être autrement.
— Oh, je n’en doute pas une seconde. Reste à savoir à quel résultat tu es parvenue.
— Puis-je faire observer que vous me paraissez toujours en pleine forme ?
— Grâce à toi, tu veux dire ? Eh bien je suppose qu’il y a du vrai, mais cela ne suffit pas. Je croyais avoir été clair.
— Vous l’avez été, Votre Sainteté.
Je regardai discrètement Juan, qui ne faisait aucun effort pour dissimuler son dégoût à mon égard – était-ce à cause de mon métier ou bien du fait que son maudit frère partageait ma couche, je n’aurais su le dire.
— Pourrions-nous parler en privé, Votre Sainteté ?
Borgia plissa les yeux en entendant ma requête.
— En privé ?
— Oui, s’il vous plaît.
Juan semblait sur le point d’émettre une protestation lorsque son père y coupa court en lui montrant la porte.
— Donne-nous quelques minutes.
Le duc devint rouge comme une tomate et me décocha un regard courroucé – que dis-je, haineux. S’il ne me considérait pas comme une ennemie jusque-là, c’était désormais chose faite.
— Vos désirs sont des ordres, Père, fit-il avant de tourner les talons avec raideur, et de faire claquer délibérément les lourdes portes derrière lui.
Lorsque nous fûmes seuls, j’annonçai :
— J’ai longuement réfléchi au problème que vous m’avez soumis, et je pense avoir trouvé quelque chose qui va vous intéresser.
Je sortis une petite bourse de l’une des poches de ma robe. Après m’être approchée de son bureau, je dépliai un carré d’étoffe noire de la taille d’un mouchoir, le posai à plat devant lui et y versai le contenu de la bourse.
Borgia se pencha pour observer. Je le vis froncer les sourcils.
— On dirait du sel.
— C’est effectivement du sel, de la qualité la plus pure, pris dans votre réserve personnelle.
J’étalai un second carré d’étoffe noire à côté du premier et plaçai dessus une petite pochette que je déroulai avec soin.
— À présent, si vous aviez l’obligeance d’examiner ceci.
— Encore du sel, proposa Borgia au bout d’un moment.
Je secouai la tête.
— Eh bien non. C’est de la poudre de diamant. Cela coûte très cher ; j’ai dû l’emprunter à un ami.
J’étais retournée voir Rocco quelques jours plus tôt pour lui demander ce prêt quelque peu singulier. Il y avait consenti de bonne grâce, malgré mon incapacité à lui fournir d’explication.
— Si vous regardez à travers cette lentille, suggérai-je en en tendant une à Borgia, vous verrez que si les deux substances paraissent quasiment identiques à l’œil nu, elles sont en fait très différentes. Au contraire du sel, la poudre de diamant est constituée d’une quantité infinie de minuscules arêtes très pointues, et surtout impossibles à détecter pour qui n’a pas le bon instrument.
— Où veux-tu en venir ? demanda-t-il en s’exécutant.
— Sous cette forme, le diamant sert à polir les surfaces en les lacérant très finement. J’ai donc imaginé que l’on pourrait verser une certaine quantité de poudre de diamant dans du sel fin. Une fois ingérée, elle viendrait en contact étroit avec les tissus mous des intestins, où j’ai de bonnes raisons de croire qu’elle ferait de sérieux dégâts.
— Je croyais qu’ingérer des diamants permettait de se protéger d’un empoisonnement. D’ailleurs, je me suis toujours demandé pourquoi tu ne me conseillais pas de le faire.
— Parce que je tiens à votre santé, rétorquai-je. Certes, il y en a qui avalent un diamant entier sans difficulté, mais il y a toujours un risque qu’il aille se loger dans les viscères. S’ensuivent alors des douleurs aiguës jusqu’à ce que l’objet soit finalement expulsé. D’autre part, il n’existe aucune preuve que le diamant neutralise les effets d’un poison, n’en déplaise à Pline. Mon père a testé cette hypothèse en son temps, et il en était convaincu.
— D’accord, concéda Borgia lentement. Donc d’après toi, même si on le réduit en une fine poudre, le diamant restera assez coupant pour accomplir son œuvre. C’est bien cela ?
J’acquiesçai.
— La
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