Francesca la Trahison des Borgia
première à y avoir pensé. Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue que les anciens avaient une grande connaissance des poisons, dont la majeure partie n’est pas arrivée jusqu’à nous, malheureusement. Mais dans tous les cas…
— As-tu réfléchi au moyen de s’en prémunir ?
Je comprenais sa soudaine préoccupation. J’avais beau être a priori la première empoisonneuse (du moins, à mon époque) à découvrir de nouveaux usages à la poudre de diamant, cela ne voulait pas dire que je serais la dernière. Si le prix restait prohibitif pour quasiment tout le monde, il suffirait d’un seul prélat (ou monarque) ambitieux, prêt à tuer à n’importe quel prix… littéralement.
— J’ai découvert que si le sel se dissout dans l’eau, ce n’est pas le cas de la poudre de diamant. Je ne saurais vous dire pourquoi, mais je crois que cela a à voir avec la dureté de la gemme qui ne change pas, même transformée en la plus fine des poudres.
— Et tu es bien sûre que cela ne viendra pas à l’esprit de son empoisonneur de lui faire subir ce genre de test ?
— Dans notre métier chacun sait que le sel est difficile à empoisonner – tout au moins jusqu’à maintenant. S’il ne connaît pas cette méthode, il n’a aucune raison de vouloir l’examiner avec un tel soin.
Mes explications parurent le satisfaire, mais pas assez pour prendre une décision sur-le-champ ou, du reste, me demander de le laisser. Par conséquent, je restai debout sans bouger pendant que Borgia était plongé dans ses pensées. Finalement, au moment où je me demandais si peut-être je devrais m’éclipser, il se redressa et m’adressa de nouveau la parole :
— D’après toi je ne devrais pas le faire, n’est-ce pas ?
— J’ai suivi vos instructions…
— Pour au final me faire part d’une idée qui va me coûter les yeux de la tête et n’est même pas garantie de fonctionner. On ne peut pas exactement dire que tu m’incites à agir.
— Vous m’en voyez désolée, si mes efforts ne sont pas à la hauteur de vos attentes…
— Ce n’est pas ça, m’interrompit-il promptement. Ton idée est ingénieuse. Comme je te l’ai déjà dit, tu as le don de trouver des solutions novatrices. Non, ce n’est pas toi le problème.
J’étais contente de l’entendre. Comme j’étais contente qu’il ne se soit pas précipité pour ordonner la mort de son ennemi. Peut-être était-ce le coût qui le faisait reculer, mais j’espérais qu’il avait d’autres raisons.
— Tu es au courant pour l’émissaire espagnol qui arrive d’ici peu ? me demanda Borgia.
— J’ai entendu des rumeurs, comme tout le monde.
— Je n’en doute pas une seconde. As-tu parlé récemment à tes amis juifs ? Je suis certain qu’ils ont encore des sources dignes de ce nom en Espagne. Comprennent-ils que je me trouve dans une situation extrêmement délicate, en ce moment ?
— Vous avez besoin du soutien de Leurs Majestés très catholiques pour empêcher une guerre entre la France et Naples, guerre dont della Rovere espère se servir pour vous destituer. Mais le prix qu’ils en demandent semble augmenter de jour en jour.
— La Novi Orbis ne leur suffit plus, me confirma Borgia avec un dégoût palpable. Voilà qu’ils veulent voir l’alliance avec les Sforza rompue et, pour faire bonne mesure, les juifs expulsés. Si je les écoutais ils me déposséderaient de tous mes alliés, et ensuite je leur serais redevable pour la moindre peccadille. Mais le pire, c’est qu’ils ne réfléchissent pas. Comment est-ce possible que des individus ayant autant de pouvoir puissent être en même temps de tels benêts ?
Je n’avais pas la prétention de croire qu’il souhaitait vraiment connaître mon opinion en la matière, mais je me sentis tout de même obligée de dire quelque chose.
— À quel propos manquent-ils de réflexion, Votre Sainteté ?
— Mais de l’expulsion des juifs, bien sûr ! Ils n’ont que ce mot à la bouche. Se demandent-ils pourtant jamais en quoi est-ce utile de les avoir ? Alors que la réponse est évidente : dès qu’il y a un problème, qui le commun des mortels blâme-t-il ? Les juifs. Aux premiers signes de la peste, d’une mauvaise récolte, de la sécheresse, de n’importe quoi à vrai dire, on rejette la faute sur eux. Et si les juifs n’étaient plus là, à qui s’en prendraient-ils, d’après toi ?
— Je ne sais pas, Votre Sainteté.
— À
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