Francesca la Trahison des Borgia
Naples, après quoi c’en sera fini de mes noces.
Je doutais fort que César ait été aussi mesuré dans ses paroles, mais il y avait assurément du vrai là-dedans.
La conversation dévia ensuite vers son promis, et je l’écoutai m’en parler tout en dégustant des fraises et en me faisant éventer par deux nègres en culottes de satin. En mon for intérieur, je me disais qu’elle l’encensait bien trop pour ne pas être déçue le moment venu. Mais peut-être les faits me donneraient-ils tort.
— Ce sera une fête grandiose, s’enthousiasma-t-elle.
— Je n’en doute point, répondis-je car de toute évidence, malgré les craintes que je nourrissais, j’espérais que tout irait au mieux pour elle.
La pauvre se sentait très seule à cette époque-là, n’ayant que faire de dames de compagnie dont elle savait qu’elles étaient davantage des espionnes pour le compte de leurs familles qu’autre chose. La Bella venait la voir aussi souvent qu’elle le pouvait, mais la maîtresse de Sa Sainteté avait, paraît-il, une grossesse difficile. C’est ainsi que je m’attardai plus que je ne l’aurais dû, et restai auprès de Lucrèce même lorsque je vis la lumière de l’après-midi changer.
Pour être tout à fait honnête, j’avais aussi une autre raison de m’éterniser et d’entamer cette partie de cartes au jardin. Le temps était venu pour moi de dire à Borgia que j’avais peut-être trouvé le moyen d’éliminer le cardinal. J’étais toujours aussi réticente, d’abord et avant tout car une attaque de ce type ne se limiterait pas à lui seul mais tuerait également tous ceux qui auraient le malheur d’être dans les parages. Bien sûr, cela pouvait fort bien tomber sur les émissaires français, auquel cas leur perte suffirait peut-être à convaincre le roi que Dieu n’était pas favorable à son entreprise. Mais qu’en était-il des autres – les invités de passage, les domestiques, que sais-je encore ? Pour autant que je le sache, della Rovere n’avait pas de maîtresse en ce moment ; il était à ce point déterminé à se différencier de Borgia qu’il mettait un point d’honneur à avoir un comportement exemplaire. Mais il y avait toujours des femmes qui allaient et venaient dans les palazzi, se glissant par des portes dérobées et le long de passages secrets. Des garçons également, même si je ne m’étendrai pas sur ce point. Le fait est, pour conclure, que ma conscience était loin d’être réconciliée avec la mission que Borgia m’avait confiée, car je ne voyais aucune raison pour que d’autres périssent en même temps que son ennemi juré.
C’est ainsi que j’avais repoussé l’échéance, peaufinant mon plan, reconsidérant tel détail et tel autre, jusqu’à ce que finalement le dernier grain de sable soit tombé dans le sablier – et que le pape envoie un messager me chercher directement chez sa fille.
— Je dois y aller, annonçai-je en me levant à contrecœur. Dans mon malheur, j’avais au moins la chance que cette semonce ne me prenne pas au dépourvu.
Mes atermoiements devaient se voir, car Lucrèce me prit la main et me fit grâce d’un sourire où pointait l’espièglerie qui la caractérisait autrefois, lorsqu’elle n’avait pas encore endossé le rôle austère de la future promise.
— Reviens me voir et nous mangerons un sorbet, me dit-elle d’un ton enjoué. Au citron, ou à la prune si tu préfères. Je sais que tu aimes bien ce parfum.
Je l’en assurai, et la quittai pour me rendre au Vatican, où je fus prestement introduite dans le bureau papal. Mais Sa Sainteté avait déjà de la compagnie : Juan, encore lui. Je songeai qu’ils étaient peut-être en train de discuter de l’autre mariage grandiose qui, d’après la rumeur, était en préparation. Dans les tavernes romaines, on pariait à peu près autant que l’épouse du fils cadet de Borgia serait espagnole ou qu’elle serait française. À lui seul, ce choix signifierait peut-être que nous aurions la guerre ou la paix.
Je me serais retirée et aurais attendu dans l’antichambre un moment plus propice, mais Sa Sainteté me fit signe d’avancer.
— Te voilà enfin, Francesca. Je commençais à me demander si tu n’étais pas partie en vacances quelque part.
Je ne me donnai même pas la peine de prendre sa remarque au sérieux, sachant pertinemment que mon maître se tenait au courant de mes moindres faits et gestes. Toutefois je me tins
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