Francesca la Trahison des Borgia
pendant la messe par le prêtre, lorsqu’il invite les fidèles à célébrer le mysterium fidei, le mystère de la foi.
Au-dessus de moi, la vie continuait au Vatican, l’heure de l’office était sonnée, la messe dite, les indulgences monnayées, les confessions faites et les âmes sauvées. Tout ce que Dieu exige, nous dit-on, y compris l’appropriation et la conservation du pouvoir.
Mais ici, sous la surface, enfoui sous terre, se trouvait le mystère du monde, cette vérité que nous autres membres de Lux cherchions à percer, non en nous basant sur la foi mais sur la raison. Là où, apparemment, Borgia venait se réfugier à ses heures perdues.
Je ne pouvais rien faire de plus, n’ayant pas la clé ; mais je rechignais quand même à partir. Je restai ainsi un certain temps à plisser des yeux pour distinguer quelque chose, n’importe quoi à dire vrai. Mes yeux finirent par s’adapter à la pénombre et j’entrevis alors des sortes de casiers où avait été rangé ce qui était peut-être des rouleaux de parchemins, ou bien des cartes, ainsi qu’une bibliothèque remplie de livres reliés, dont certains paraissaient très anciens. J’aperçus des blocs de pierre qui me semblaient gravés de caractères, même si je n’aurais su l’affirmer. Il y avait également des coffres de diverses tailles et d’autres objets encore, que je devinais à peine.
À contrecœur, je finis par remonter à la surface. Il n’y avait toujours pas le moindre mouvement dans le bureau de Borgia, hormis les quelques grains de poussière qui dansaient dans les rayons de soleil pénétrant par les hautes fenêtres. Au-delà, je sentis aux bruits de la ville que la journée commençait son long déclin.
Ma main s’attarda sur le fourreau de cuir contenant mon couteau. Je ne devais pas oublier mon rendez-vous. Mais je décidai (à supposer que ce soit possible) que je trouverais le moyen de retourner dans la chambre secrète sous le palazzo pour découvrir les trésors qu’elle recelait.
J’arrivai à la fontaine en pierre de la piazza di Santa Maria in Trastevere juste avant le coucher du soleil. Une dizaine de garçons du quartier y étaient rassemblés, tirant de l’eau pour leur famille ou leurs maîtres, pour la nuit. Ils s’attardèrent dans la lumière déclinante, jouant aux fanfarons, se poussant et faisant semblant de se bagarrer, jusqu’à ce que l’immense cloche de la tour de la basilique se mette à sonner les vêpres. Aussitôt ils se sauvèrent, disparaissant dans les ruelles et venelles adjacentes en ne laissant que des flaques d’eau derrière eux.
Hormis quelques mendiants s’apprêtant à passer la nuit devant l’entrée de l’église, j’étais à présent seule. Autour de moi je voyais les lampes qui s’allumaient dans les maisons et les tavernes, et j’entendais des bruits de vaisselle et de conversation. Quelqu’un, probablement dans l’une des tavernes, entonna une chanson en vogue ce printemps-là (évoquant l’éternelle jeune fille en fleur et son soupirant), et bientôt il fut accompagné. L’odeur lourde et féconde du fleuve rivalisait avec la fumée des feux de cheminées et la puanteur toujours prégnante des égouts.
Je regardai vers l’église. À ce qu’il paraît, ce serait le plus ancien lieu de culte consacré à la Sainte Vierge de Rome, même si les ecclésiastiques de la basilique Sainte-Marie-Majeure, sur la colline de l’Esquilin, vous diront le contraire. Quoi qu’il en soit elle a l’air très ancienne, malgré le fait qu’elle ait été rasée puis reconstruite par le pape Innocent ii, quelque cinq cents ans auparavant. (Incidemment, il est intéressant de noter que l’ancienneté de Rome est telle que quelques siècles ne sont rien.) Toujours est-il qu’Innocent ii a su conserver une partie de l’ancien édifice et ainsi préserver sa vénérable apparence, mais a tout de même détruit la tombe de son grand rival, l’antipape Anaclet ii – ce qui était probablement le but premier de l’exercice. Le vainqueur y repose aujourd’hui, en compagnie de la tête de sainte Apolline (encore une martyre vierge) et d’un bout de la Sainte Éponge.
On comprend ainsi pourquoi cette basilique est fréquemment visitée par les gens de passage à Rome, mais seulement à la lumière du jour. Dans la pénombre grandissante, la piazza di Santa Maria avait en effet l’air bien moins accueillante. La lune, qui n’était pas encore pleine, était
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