Francesca la Trahison des Borgia
présents qui lui étaient faits avant de l’autoriser à en approcher.
— Je pencherais pour l’éléphanteau grandeur nature en argent, avec la trompe ornée de joyaux. Un peu banal, peut-être, mais…
Lucrèce pouffa de rire et j’eus le plaisir de retrouver, ne serait-ce qu’un instant, la jeune fille que j’avais toujours connue.
— Où devrais-je le mettre, à ton avis ? Dans la salle de bal de la villa à Pesaro, pour que tous nos invités puissent l’admirer ? Ou peut-être dans nos quartiers privés, pour notre seul plaisir ?
— Dans la chambre d’enfant, proposai-je, car je savais que le sujet lui était cher. Quel bambino n’adorerait pas avoir son propre éléphant ?
Lucrèce battit des mains.
— Parfait, c’est exactement ce que je ferai. En supposant que j’aille vivre à Pesaro un jour.
Elle n’attendit pas ma réponse, prenant soudain une inspiration pour mettre la tête sous l’eau. Lorsqu’elle refit surface quelques secondes après, ses cheveux étaient tout défaits et flottaient autour d’elle. Elle me fit alors penser à une sirène, mais une sirène qui aurait des soucis on ne peut plus concrets en tête. Le mariage avait beau s’approcher à grands pas, elle doutait encore qu’il ait bien lieu. Je me demandais si elle savait combien l’émissaire espagnol était déterminé à l’empêcher.
Nos regards se croisèrent, et nous n’eûmes pas besoin de parler.
— Oh, s’exclama Lucrèce tout à coup, j’ai bien l’impression que je suis à court de savon.
Aussitôt, la soubrette fit une révérence et partit en chercher d’autre à la hâte. Dès que nous fûmes seules, elle me questionna :
— Quelles sont les nouvelles ? Dis-moi tout.
Bien entendu, c’était hors de question ; je lui dirais simplement ce qu’elle avait besoin de savoir.
— De Haro et votre père ne s’entendent pas. Certains commencent à se demander s’ils parviendront à un accord.
— Mais il le faut ! Le clan Sforza ne cédera jamais Milan au roi de Naples, même s’il est mieux placé pour y prétendre. Les Espagnols doivent se servir de leur influence pour le lui faire comprendre. Sinon, ma future belle-famille se tournera vers le Nord pour demander de l’aide et en un rien de temps les Français seront aux portes de la ville.
Avec la bénédiction de della Rovere, voire d’autres cardinaux. Mais je gardai cela pour moi. Lucrèce comprenait déjà fort bien la situation.
— As-tu déjà pris des paris ? s’enquit-elle. Je savais à quoi elle faisait référence ; dans les tavernes, la cote était maintenant à sept contre cinq que son mariage serait annulé.
— Certainement pas. Je ne mise jamais sur ce genre de chose. Du reste, la signature de la bulle par votre père m’a rapporté gros. Et la cupidité est un vilain défaut.
Elle attrapa une éponge et l’essora au-dessus de sa tête, avant de me dire :
— Tu es tellement chanceuse de pouvoir contrôler ta vie.
— Ce n’est pas tout à fait vrai, mais je suis heureuse du peu d’indépendance que j’ai.
Même si certains jours cela ne me paraissait être guère plus qu’une illusion.
Elle haussa ses pâles épaules.
— Moi je ne saurai jamais ce que c’est. Ma vie est entre les mains de mon père, et il en use à sa guise. Pour tout te dire, je crains même qu’une fois mariée, cela continue.
Il aurait été parfaitement hypocrite de tenter de la persuader du contraire, et je ne m’en sentais pas capable. Borgia était déterminé à contrôler la vie de tous ses enfants, maintenant et à jamais, puisqu’ils étaient censés à la fois le faire avancer et assurer son immortalité.
Mais avant cela, il lui faudrait se sortir de ce bourbier d’ambitions conflictuelles, d’avidité rampante et de corruption dans lequel il s’était enlisé tout seul.
— Si vous continuez à vous inquiéter autant, répliquai-je, votre fiancé va croire que vous êtes une pauvre créature toute triste. Il fuira les festivités et rentrera à Pesaro au triple galop.
Eût-elle été moins sûre de ses attraits, ma remarque aurait pu la prendre de court ; toutefois, Lucrèce se contenta de sourire.
— Mais non. Il me trouvera charmante et délicieuse. Il jettera des pétales de roses à mes pieds et m’appellera sa bien-aimée.
Nous étions en train de rire de la niaiserie des hommes quand ils s’entichent d’une femme lorsque la soubrette revint avec une boîte en bois remplie
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