Francesca la Trahison des Borgia
de savons. Elle la posa sur une table à côté de nous, avant de se fondre de nouveau dans le décor.
Lucrèce n’en ayant pas vraiment besoin, nous continuâmes à bavarder, de ses cadeaux de mariage, de sa robe, de sujets bien inoffensifs en somme. Mes yeux se posèrent par hasard sur la boîte. Je la reconnaissais bien entendu, examinant systématiquement tout nouvel arrivage depuis des mois. Lucrèce les faisait venir de Venise, et la boîte portait le sceau de son fabricant sur le couvercle. Elle était assez grande pour contenir une douzaine de savons ovales, parfumés à l’huile d’olive et diverses autres senteurs. La Bella aussi adorait faire sa toilette avec. À elles deux, elles en consommaient une quantité effarante.
Je soulevai le couvercle de la boîte, et brisai ce faisant le sceau du fabricant. Ce même sceau qui, immanquablement, aurait dû être brisé si j’avais auparavant inspecté ces savons, et remplacé par mon propre sceau. L’intérieur était séparé en compartiments, chacun contenant un savon enveloppé dans de la soie de différentes couleurs, censées représenter les senteurs. Je sentis de l’hibiscus, du jasmin, de la rose, de la lavande, du citron et du thym. Il y avait donc deux pains de savon pour chaque parfum.
— Il y a un problème ? demanda Lucrèce.
Je laissai retomber le couvercle, et lui souris.
— Non, pas du tout, j’étais juste en train d’admirer les savons.
— Prends-en un, si ça te fait plaisir.
— Merci, c’est très gentil.
Souriant toujours, je me tournai vers la soubrette et lui demandai :
— Où as-tu eu cette boîte ?
Je pris garde de parler avec douceur et d’un ton léger ; cela ne servirait à rien de l’effrayer.
Quand bien même, je la vis pâlir et pendant un instant je crus qu’elle n’arriverait pas à parler. Visiblement, elle savait qui j’étais.
— C’est Donna Lydia qui me l’a donnée, parvint-elle à dire finalement. Elle s’occupe de la toilette de Madonna.
— Voudrais-tu lui demander de venir ici ?
La soubrette sortit précipitamment et Lucrèce reposa sa tête contre la baignoire en me regardant d’un air imperturbable. Elle ne souffla mot, et moi non plus.
Puis Donna Lydia entra, l’air affairé. Du même âge que moi à peu près, elle était plutôt jolie avec sa peau crémeuse, et bien habillée ; on sentait la fille de riche négociant qui ne craignait pas de montrer son aisance matérielle. Je fus d’ailleurs étonnée de la voir se mouvoir avec autant de grâce, engoncée comme elle l’était dans toute cette soie, ce velours, cette dentelle ; sans compter ce corset serré, mettant en valeur ses seins par un jeu de transparence avec la chemise de dessous ; et par-dessus le marché, la coiffe retombant sur les côtés et bordée de perles de rosetta en verre de Murano, qui faisaient fureur chez les jeunes filles de bonne famille en ce temps-là.
— Avez-vous besoin de quelque chose, Madonna Lucrezia ? s’enquit-elle en souriant abondamment. Elle avait de bonnes dents. Si elle paraissait vaguement agacée d’avoir été arrachée à son divertissement du moment, elle ne montra aucun signe d’inquiétude vis-à-vis de moi, preuve d’une ignorance patente.
— Nullement, mais je crois que Donna Francesca, oui.
— Madonna Lucrezia m’a très gentiment offert un savon, fis-je en indiquant la boîte. Mes parfums préférés sont l’hibiscus et le jasmin. Je voudrais les essayer tous les deux avant de me décider, mais je crains de confondre les senteurs. Auriez-vous l’obligeance d’en essayer un pour moi, afin que je puisse les comparer à mon aise ?
De vous à moi c’était un bien piètre stratagème, j’en conviens. Peut-être Donna Lydia s’en serait-elle aperçue si elle avait eu l’esprit moins tourné vers son nombril. Mais le fait est qu’elle se contenta de hausser les épaules, de prendre un savon au jasmin, de relever ses manches et, avec un soupir impatient, de plonger les mains dans une bassine en cuivre remplie d’eau froide. Le savon étant d’excellente qualité, il moussa rapidement.
J’attendis, comptant dans ma tête. Lorsque j’en fus à dix, Donna Lydia se mit à crier.
20
— La famille entière, je vais faire exécuter ! Non, j’ai une meilleure idée, je vais les faire enchaîner sur la place devant Saint-Pierre sans rien à boire ni à manger, et toute la ville les regardera agoniser et supplier qu’on les achève !
Ainsi
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