Francesca la Trahison des Borgia
main.
S’il ne parut pas satisfait, Vittoro renonça à ergoter avec moi. Il m’accompagna encore un peu.
— Le garçon se porte bien, m’annonça-t-il au bout de quelques instants.
Je n’avais pas besoin de lui demander à qui il faisait référence. Pour moi, il n’y en avait qu’un seul.
— Je suis heureuse de l’apprendre. C’était très généreux de ta part de prendre Nando chez toi.
Vittoro émit un grognement.
— Je peux t’assurer qu’il sera plus difficile de le rendre à son père. Felicia l’adore, et les filles aussi. Il est intelligent, cet enfant. Savais-tu qu’il dessine très bien ? Il a fait des portraits de mes filles qui leur ressemblent trait pour trait.
Je pris le temps de me demander si la figlia d’Agnelli aurait l’idée d’encourager le don de Nando, ou bien si elle escompterait comme son père qu’il reprenne l’affaire familiale. Puis, dans une tentative flagrante de changer de sujet, je m’enquis :
— Et quel est ton sentiment, sinon, s’agissant des négociations avec de Haro ?
— Ah, cela s’appelle ainsi, en fait ? Je trouvais que cela ressemblait davantage à un mélange entre joute verbale et bouderie.
— À ce point-là ?
— Qui peut vraiment le dire, à part eux ? Toujours est-il que les choses seraient plus faciles pour Sa Sainteté si elle n’avait pas constamment à se soucier de della Rovere et de ce qu’il est en train de fabriquer.
Pour juste qu’il fût, son commentaire me donna à penser que Vittoro était peut-être au courant du plan que j’avais élaboré pour éliminer le cardinal. Cela ne m’aurait pas étonnée, le capitaine de la garde ayant lui aussi d’excellentes sources en plus d’être dans la confidence de Borgia.
Nous nous quittâmes quelques instants après, et je poursuivis mon chemin jusqu’aux appartements de Lucrèce. Elle se trouvait dans son bain, mais me fit dire d’entrer quand même.
Le bagno était une vaste pièce, dont les immenses fenêtres donnaient sur les jardins du palazzo. Le sol était recouvert d’une mosaïque raffinée de style romain, représentant des dauphins en train de jouer. Au centre trônait une énorme vasca en marbre rose, aux pieds en forme de pattes de lion et aux hautes parois en volute. Sa taille était telle que Lucrèce aurait pu prendre son bain avec toutes ses dames de compagnie. Toutefois ce jour-là elle était seule, hormis une soubrette qui se précipita pour m’amener un tabouret. Je m’assis et humai le parfum capiteux de l’hibiscus et du jasmin qui s’élevait de l’eau fumante.
Elle était jolie comme un cœur, avec ses cheveux blonds relevés en chignon très haut sur la tête, ses joues toutes roses et le reste de son corps qu’on devinait à peine sous l’eau laiteuse. Si je ne la connaissais pas aussi bien, la tension dans ses yeux et autour de sa bouche m’aurait échappé.
— Cela te dirait de me rejoindre ? s’enquit-elle. Il reste encore plein de place.
J’étais tentée. Depuis mon déménagement du palazzo, j’avais dû me contenter d’une baignoire sabot en étain. Et pour autant que je chérisse mon intimité, certains agréments allant de pair avec la vie parmi les riches et les puissants me manquaient, je l’admets. Mais avec tout ce qu’il y avait à faire en ce moment, je ne pouvais rester bien longtemps.
— Une autre fois, d’accord ? Je suis juste venue voir comment ça allait.
Lucrèce soupira et leva les yeux au plafond, où des petits anges étaient en train de batifoler.
— Comment ça va ? Voyons… je suis impatiente… nerveuse… excitée… épuisée, à force de rester debout pendant des heures pour les couturières, et aussi très lasse de me faire piquer par des épingles. Et toi, comment ça va ?
C’était une bonne question. Optimiste quant à la mort prochaine de l’assassin de mon père, certainement. Affligée par la nouvelle de Rocco et me détestant d’avoir eu une réaction aussi hypocrite, pour sûr. Impatiente de retrouver son frère et la joie d’un accouplement passionné et détaché, je l’avoue. Et enfin, de toute évidence, plus attentive que jamais à garder son père en vie.
— Très bien, répondis-je au final. J’ai fort à faire, assurément, mais ce n’est guère surprenant.
— Dis-moi, parmi tous les cadeaux de mariage que nous avons reçus, quel est ton préféré ?
Une manière discrète de faire allusion au fait que je devais approuver chacun des
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