Frontenac_T1
puis sâévanouissaient dans la nature comme des spectres. En parallèle de ces escarmouches, les bombardements se poursuivaient sans interruption depuis quatre jours et jusquâà huit heures du soir. Après quoi, les canons se taisaient. Un silence pesant sâinstallait, dans une accalmie de courte durée dont chacun sâempressait de tirer le meilleur parti.
â Mais nos unités ne leur laissent aucun répit, monseigneur. Longueuil, Sainte-Hélène, La Hontan et Maricourt harcèlent nos Anglais sans arrêt, les forçant à répliquer et à gaspiller leurs munitions sur des cibles trop mouvantes pour être atteintes. Leurs hommes tombent sans quâils puissent être évacués parce que leurs barques sont souvent incapables de reprendre le large tant la mer est grosse.
â Fort bien. Je tiens à ce quâon occupe nos puritains assez longtemps pour créer une commotion parmi eux, histoire de gagner du temps. Jâai ouï dire quâils réagissaient dâailleurs assez mal à notre manière de faire la guerre?
â Ils paraissent en effet complètement décontenancés, monseigneur, câest le moins que lâon puisse dire, rétorqua Vaudreuil, sur les lèvres duquel flottait un sourire de satisfaction. Nos miliciens voltigent de rocher en rocher autour des Anglais qui nâosent se séparer et présentent une cible idéale en se tenant serrés comme des bancs de sardines. Le désordre sâest dâailleurs emparé de quelques unités dont les hommes ont commencé à se replier en catastrophe. Ils prennent nos Canadiens pour des sauvages et sont persuadés que derrière chaque arbre sâen dissimulent une centaine dâautres.
â Il est hors de question pour lâinstant de combattre autrement quâà lâindienne, fit Louis en se lissant la moustache. Le terrain en cet endroit est marécageux, embarrassé de broussailles entrecoupées de rochers, et la distance est trop longue à marée basse pour que nos hommes puissent avancer sans sâenliser jusquâà la taille.
Louis, en plein dans son élément, était pris dâune excitation qui lui mettait le feu aux joues. Ses officiers et lui avaient élaboré une tactique qui semblait réaliste. Leur principal dessein était dâengager lâennemi à traverser la rivière Saint-Charles, puisque câétait la meilleure voie dâentrée vers la ville. Comme on ne pouvait la franchir quâà marée basse, Frontenac et Callières y attendraient les Bostonnais et les culbuteraient en bataille dans la rivière dès quâils lâauraient franchie. Ces derniers nâauraient alors dâautre choix que de reculer en désordre et de courir une demi-lieue dans une vase impraticable pour regagner leurs embarcations.
â Dès que le jour commencera à manquer, je commanderai moi-même la sortie dâun bataillon bien réglé, avec tambours et trompettes, pour faire diversion et créer lâillusion de troupes bien fournies. Je ne veux pas laisser le temps à lâennemi de sâapercevoir quâil nâa en face de lui quâune poignée dâhommes. Avons-nous beaucoup de pertes, jus quâici? continua Louis, le sourcil froncé.
â Le chevalier de Clermont est tombé en pleine action, touché dâune balle au cÅur, ainsi que le fils du sieur de la Touche, qui avait suivi les miliciens comme volontaire. Nous avons également une douzaine de blessés dont le plus considérable est le sieur Nicolas Juchereau de Saint-Denis, seigneur de Beauport, qui commandait ses habitants.
â Clermont, quel dommage! déplora Louis, profondément ému.
Câétait lâun de ses meilleurs officiers, un père de famille chargé dâenfants. Il se promit de mettre toute son éloquence à convaincre le roi de verser une pension à sa veuve.
â Le fils du sieur de la Touche était un novice qui voyait le feu pour la première fois, je suppose?
Vaudreuil opina. Louis secoua la tête, toujours attristé de voir tomber de si jeunes gens.
â Saint-Denis est-il gravement atteint?
â Son bras droit a été cassé dâun coup de feu. La blessure est profonde et il a perdu beaucoup de sang. On lâa transporté à lâHôtel-Dieu.
Louis fit une
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