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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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fonctionnait maintenant sans dérougir. Les dons recueillis auprès des gens fortunés étaient distribués aux plus démunis, on offrait du travail à ceux qui y étaient aptes, et la mendicité était désormais interdite. L’implantation s’était faite en étroite collaboration avec le clergé, une réalisation dont elle était fière. Car les temps demeuraient difficiles à cause de cette terrible guerre avec l’Iroquois qui imposait à la colonie un lourd tribut. Et les Anglais avaient promis de revenir...
    â€” Quand cela va-t-il finir, mon Dieu? s’interrogea-t-elle à voix basse, comme elle le faisait si souvent depuis quelque temps.
    Mais la vie de la colonie n’était pas faite que de grands malheurs. Elle avait aussi son lot de petites chicanes. Marie-Madeleine échappa un sourire en pensant à la question des subsides royaux qui avait failli faire voler en éclats l’entente qui régnait jusque-là entre son mari et monseigneur de Saint-Vallier. La dispute avait été si bruyante qu’elle avait pu en saisir chaque mot depuis ses appartements. Il s’agissait des subsides annuels octroyés au clergé pour l’entretien des prêtres et des églises. L’évêque voulait exercer une discrétion totale sur ces sommes, alors que son mari recommandait au conseil de retenir huit mille livres et de lui confier la gestion de ces fonds si le prélat refusait de créer des cures fixes. L’évêque, hors de ses gonds, avait hurlé que cela était du chantage et qu’on empiétait sur les droits de l’Église. Il l’avait même carrément menacé d’excommunication. Mais Jean n’avait pas cédé d’un pouce. Une force de caractère qu’elle avait toujours louée chez lui. La controverse s’était néanmoins réglée par un compromis qui avait permis l’instauration rapide de trois nouvelles cures fixes.
    Elle s’était avancée devant la fenêtre et observait pensivement le fleuve, à présent, où des milliers de vaguelettes moutonnaient à perte de vue sous un clair ciel printanier. Deux militaires marchaient d’un pas rapide le long de la rive, auréolée de volées de goélands. Elle repensa à Charles, l’aîné de ses fils, qui rêvait d’une carrière navale et voulait être enseigne de vaisseau dans les Compagnies franches de la Marine. Il souhaitait être accepté à l’école d’art maritime de Brest, la meilleure, à ce que l’on disait. Comme on n’y admettait que deux Canadiens par année, elle avait requis différentes lettres de recommandation pour appuyer la candidature de son fils. Il rompait, certes, avec la tradition des Bochart, qui étaient des gens de justice, mais ne fallait-il pas suivre son cœur et son inclination? Les membres influents de leurs familles respectives, les Montmorency, Tronson, La Porte, tous issus de la noblesse de robe, feraient certainement l’impossible pour favoriser son ascension.
    Mais elle s’inquiétait autrement pour son mari, qui s’attachait depuis quelque temps à convaincre Frontenac de monter une véritable expédition contre les Iroquois.
    â€” La guerre, toujours la guerre, comme s’il n’y avait pas d’autres façons de régler les différends, s’entendit-elle déplorer à nouveau d’une voix marquée par l’impuissance.
    Elle savait trop combien elle avait tremblé pour la vie de son époux lors de l’expédition lancée par Denonville contre les Tsonontouans, quatre années plus tôt. Jean avait cru de son devoir d’accompagner et même de précéder les troupes jusque chez l’ennemi, au mépris de tout danger. Il n’était pourtant pas un soldat de métier, mais un homme de robe et un plaideur, Dieu du ciel! Elle était persuadée que ses fonctions d’intendant n’avaient jamais exigé qu’il risquât ainsi sa vie. Et il fallait voir avec quelle exaltation il s’était porté à l’aventure, comme un tout jeune homme à son premier combat.
    Â«Â En tout cas, on ne pourra jamais l’accuser de lâcheté », se dit-elle encore en se demandant pourquoi les hommes étaient toujours si prompts à choisir la confrontation plutôt que la

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