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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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ignoré les directives contraires à ses intérêts et n’en avait jamais fait qu’à sa tête.
    Jean Bochart se prit à regretter une fois de plus la complicité qui l’avait uni au marquis de Denonville durant leurs quatre fructueuses années d’administration commune. Un âge d’or apparemment révolu...
    Il prêta l’oreille. Il lui semblait avoir entendu un léger craquement. Il ébaucha un sourire.
    â€” Janou, mon pauvre poussin.
    Il attendit de voir l’enfant paraître, comme elle le faisait chaque fois qu’elle réussissait à tromper la vigilance de sa nourrice. La petite Jeanne s’avança en trottant sur ses faibles jambes et lui tendit ses bras maigres en souriant de ses quatre dents. Il la souleva en riant, l’installa sur ses genoux et s’alarma à nouveau de la trouver si légère. Malgré ses deux ans, elle ne profitait pas au même rythme que les autres enfants. Ses magnifiques yeux noirs, sous lesquels s’agrandissaient des cernes bleutés qui mangeaient ses joues pâles, s’attachèrent à lui avec obstination. Mal remise d’une coqueluche qui avait traîné, l’enfant était affligée depuis lors d’une langueur toussotante dont on craignait qu’elle ne s’apparente à la phtisie. De fortes fièvres la terrassaient par intervalles, la laissant chaque fois plus affaiblie. Marie-Madeleine et lui ne cessaient de trembler pour sa vie. Tous les docteurs et chirurgiens de la colonie avaient défilé devant sa couche avec des succès mitigés. Tisanes et décoctions, lotions apaisantes, fomentations et cataplasmes chauds, ventouses, sirops, loochs pour les affections pectorales, poudres, pilules, tout avait été tenté. La minuscule pièce où on avait fini par isoler la petite malade était devenue une infirmerie où s’entassaient les fioles, potions, onguents, liniments, sondes, compresses et pansements de toutes sortes.
    Jeanne supportait tout de bonne grâce, à la condition qu’on ne lui enlève pas sa poupée de chiffon qu’elle traînait avec elle en la pressant maternellement contre son sein. La fillette effleura la joue de son père d’un délicat revers de la main et prononça de sa petite voix câline :
    â€” Papa Janou?
    â€” Oui, je suis bien ton papa, ma chérie, lui répondit-il en caressant ses boucles brunes, légères et soyeuses comme le duvet du cygne.
    La petite lui mit sa poupée dans les mains et il fit mine de la bercer doucement pour l’endormir. Elle éclata de rire et se mit à chanter «do do l’enfant do », en imitant la berceuse que lui fredonnait sa nourrice. Jean Bochart fut consterné de réaliser que le front et le visage de la fillette étaient encore tout chauds. Ces poussées de fièvre que le médecin de l’hôpital croyait avoir enrayées recommençaient-elles déjà? Il se leva, le petit corps toujours lové dans ses bras, quand Antoinette, sa nourrice, entra en trombe en s’exclamant :
    â€” Voilà où elle était, cette petite coquine. Je me doutais bien, aussi. Elle m’a échappé quand j’ai refait son lit. Donnez-la-moi, monsieur, c’est l’heure du dodo.
    â€” Mais elle est encore brûlante de fièvre, Antoinette. Touchez son front.
    â€” Oui, monsieur. Cela vient par bourrées et disparaît sans avertir. Mais c’est bientôt l’heure de sa potion.
    â€” Non, ce soir, je la garde un peu. Apportez-moi son remède, je vais le lui donner et tenter de l’endormir. Et baillez-moi quelque chose de chaud pour l’envelopper. Antoinette s’exécuta. Quand elle revint, elle s’immobilisa sur le seuil, prise d’attendrissement : l’intendant berçait tendrement sa fille en chantonnant un vieil air d’autrefois. Jeanne fixait son père avec une intensité dévorante, avec ce terrible regard qui effrayait tant sa nourrice. À cause de cette espèce de prescience, de lucidité froide et résignée qu’elle croyait y déceler parfois. La servante en eut la gorge nouée. Elle aussi se faisait un sang d’encre pour cette petite qu’elle aimait comme sa propre fille.
    Antoinette se ressaisit, recouvrit Jeanne d’un épais châle de laine et déposa le flacon sur la table. Comme

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