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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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l’enfant était entre bonnes mains, elle se retira discrètement. «N’empêche, se dit-elle, il est bon père, notre monsieur, étonnée encore une fois de cette tendresse qu’elle découvrait chez lui. Et juste, avec ça, car toujours il a tenu à me verser des gages, contrairement à d’autres qui ne baillent jamais un sou à leurs domestiques. »
    Jean Bochart accentua son balancement tout en continuant à fredonner à mi-voix. La petite fermait les yeux par moments puis sursautait et les rouvrait en cherchant aussitôt les siens, comme si elle craignait de le voir partir. Elle serrait son index d’une menotte et sa poupée de l’autre.
    Â«Mon Dieu, ne nous l’enlevez pas, celle-là aussi! »
    Leur autre fille, Catherine, s’était éteinte dans sa première année. On l’avait trouvée morte au petit matin dans son ber, froide et déjà si lointaine. Marie-Madeleine avait poussé un cri déchirant et s’était effondrée sur le carrelage. Il avait fallu des mois avant que ne reparaisse un sourire sur ses lèvres. La peur de perdre Jeanne la torturait à nouveau, il le sentait bien, mais par une espèce de superstition, ils s’interdisaient l’un et l’autre d’en faire mention, de crainte que le seul fait de parler du malheur ne l’attire sur eux.
    La fillette, emmitouflée et amoureusement bercée, finit par s’endormir profondément. Son petit corps se détendit et sa respiration prit une cadence plus régulière. Jean Bochart ne pouvait détacher les yeux de ce visage délicat et diaphane où perlait une sueur de fièvre. Il lui rappelait tellement celui de sa malheureuse Catherine. La même bouche espiègle, le même regard intransigeant qui ne vous lâchait pas une fois qu’il vous avait entrepris, avec la différence que son autre fille respirait la force et la santé. Tandis que ce pauvre poussin poussif... Il s’arrêta de chanter et s’immobilisa. Jeanne ne bougea pas d’un cil.
    Il leva les yeux sur les papiers disséminés sur son pupitre et se dit qu’il fallait pourtant qu’il se remette au travail. Comme l’enfant dormait toujours, il la porta à son lit où il la déposa avec précaution. Une fois bien bordée, il la contempla en silence un long moment. Puis il s’en retourna à sa correspondance.
    Dehors, la nuit était tombée pour de bon. Marie-Madeleine ne tarderait pas à rentrer. Il se remit fiévreusement à la tâche, dans l’espoir de chasser les idées noires qui avaient encore ressurgi, bien malgré lui.

20
Montréal, été 1691
    Frontenac occupait depuis plusieurs semaines déjà les deux pièces hautes et claires que Callières lui réservait dans son spacieux château, en bordure du Saint-Laurent. Monseignat lui avait remis ce soir-là une lettre qu’il était impatient de lire. Rédigé de la main d’Anne, le pli avait transité en canot depuis Québec. Sa fidèle alliée l’informait régulièrement et par le détail de tout ce qui grouillait et grenouillait à Paris, Versailles et Saint-Germain. Comme il n’avait rien reçu d’elle depuis un certain temps, la soif de nouvelles fraîches le tenaillait.
    Il s’installa dans la bergère placée près de la fenêtre ouverte à pleins volets et décacheta. L’épaisse liasse de feuillets qu’il retira de l’enveloppe libéra une bouffée odorante, à nulle autre pareille. Louis fut aussitôt envahi de nostalgie. Il ferma les yeux et respira à pleines narines. Des images floues, puis de plus en plus précises, s’éveillaient et se bousculaient, sollicitées par la magie des arômes : Anne, la femme d’hier se confondant avec celle d’aujourd’hui, les multiples décors de sa vie mouvementée, ses nombreux visages, les salons où elle avait toujours brillé... Louis s’attarda à ces lointains souvenirs, agité de sentiments contradictoires. Quand il ouvrit enfin les yeux, ce fut pour compter fébrilement les pages qu’il serrait entre ses doigts noueux. Anne en avait noirci dix bien tassées. Il ébaucha un sourire. Il ferait durer le plaisir.
    Il posa les pieds sur un tabouret et se cala confortablement dans son siège. Le papier fin et

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