Frontenac_T1
préparées.
Pour ce qui est des affaires du Canada, dont vous mâavez mandé dâinformer madame de Maintenon afin quâelle puisse infléchir favorablement le roi, je lui ai envoyé plusieurs requêtes et un mémoire écrit de ma main sur la situation tragique de ce pays, et sur le grand besoin où il se trouve de troupes fraîches, de munitions et dâargent pour faire face à la guerre constante quâil subit aux mains de deux ennemis puissants et coalisés. Croyez bien, aussi, que jâai écrit à tous vos amis et alliés à la cour pour les inciter à faire pression et à parler en votre faveur chaque fois que le roi en viendra sur ce sujet. Depuis votre grande victoire contre le général Phips, Sa Majesté est mieux disposée que jamais à votre égard et à lâégard des Canadiens.
Louis échappa un petit rire sifflant. La belle victoire sur Phips quâil avait été si impatient de claironner à Versailles et que La Hontan lui-même était allé raconter à la cour ne lui avait valu que des louanges et une lettre de félicitations écrite de la main de Louis XIV. Il est vrai quâon lui avait envoyé aussi six mille livres, mais quâétait-ce, dans lâocéan dâobligations financières qui lâassaillaient? Le monarque avait aussi fait frapper une médaille dâor portant lâinscription Kebeca Liberata , mais il y avait fait graver son propre profil et non le sien. Anne avait fait des pieds et des mains pour obtenir une copie de la fameuse médaille, mais sans y parvenir. Nulle décoration, nulle pension ou sinécure à lâhorizon cependant pour le vainqueur de Phips. Rien que des mots pour quelquâun qui ne se payait plus de mots. Comme quoi le grand roi savait aussi être petit et mesquin, à ses heures.
Louis secoua son amertume et se remit à sa lecture.
La mort tragique de monsieur Louvois, foudroyé dâune crise dâapoplexie à cinquante ans, a eu des effets qui ne surprennent pas pour qui sâentend au mécanisme de la cour. Sans y être jamais, jây ai des oreilles et des yeux, et ces amis fidèles mâont rapporté à quel point ce ministre était devenu insupportable à son maître. Il était rude et dur, présomptueux au-delà de tout ce que lâon peut imaginer, et, sans la guerre, il aurait essuyé une disgrâce. Vous ne pouvez savoir à quel point le roi semble leste et libéré depuis sa disparition. Il a remplacé Louvois par son propre fils, le marquis de Barbezieux, âgé de vingt-trois ans. Pour lâassister, il a aussi nommé six ministres qui se sont partagé lâadministration de la guerre, des finances, des postes, des fortifications, des haras, des manufactures et des bâtiments. Tout lâempire de Louvois a été démembré au profit du roi qui a pris en main le détail de lâadministration. Désormais, tout passe par lui. Il peut convoquer indifféremment un maréchal de France, un intendant des finances, un grand officier comptable ou un lieutenant de police sur un sujet donné, et le régler directement. Il travaille de huit à neuf heures par jour et sans se lasser. Il a récemment passé ses troupes en revue : cent vingt mille hommes, cavaliers et fantassins, étaient alignés sur quatre rangs et sâétiraient sur bien près de trois lieues. Un spectacle impressionnant et qui donne une haute idée de la grandeur de notre puissance terrestre.
Louis bougonna. Une armée si nombreuse et dont le roi ne pouvait détourner mille hommes pour sauver sa colonie du Nouveau Monde! Il nâarrivait pas à comprendre. Il secoua plusieurs fois la tête, les lèvres serrées, la mine songeuse.
Il continua néanmoins.
Mais nous avons encore une bonne partie des Ãtats coalisés sur le dos, et ces derniers unissent leurs forces pour venir à bout de la France et la ramener dans ses frontières des Pyrénées. Fasse le ciel que cette guerre se termine sans trop de pertes ou de dégâts irréparables! Pour en revenir à vos affaires, croyez bien que je les pousse du mieux que je peux et sans relâche, mettant à profit toutes les intelligences que nous avons. Monsieur de Lagny et monsieur de Pontchartrain mâont assuré que nous aurions des hommes et des fonds dès
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