Frontenac_T1
pertes à signaler?
Frontenac avait repris un ton plus détaché.
â Oui, monseigneur. Jâai malheureusement perdu six hommes sur un contingent de quarante-cinq. Ils se sont... noyés... et nous nâavons malheureusement... rien pu faire... pour les rescaper. Mes hommes ont bêtement chaviré dans des rapides, à quelques lieues seulement de Montréal. De bons nageurs se sont jetés à leur rescousse, mais le courant était si violent quâil a été... impossible... de les sauver.
Valrennes avait baissé les yeux et sa voix sâétait brisée sur ces dernières paroles. Frontenac adoucit le ton pour continuer :
â Avez-vous croisé le détachement que jâai envoyé dans lâespoir dâannuler les ordres de monsieur de Denon ville?
â Nous les avons rencontrés à quelques lieues de Lachine et la majorité dâentre eux ont rebroussé chemin. Seuls quelques canots ont continué vers Onontagué.
â Où sont-ils à présent?
â Ils nous suivaient de près. Le commandant devrait arriver sous peu. Le reste du contingent doit attendre vos ordres à Lachine, monseigneur.
Lâofficier Saint-Pierre de Repentigny, qui avait été chargé de porter à Valrennes lâordre de démolition, sâavança à son tour et sâinclina devant Frontenac. Câétait un homme fortement charpenté, plus grand que les autres dâune tête et dont le visage était aussi ridé quâune blague à tabac. Il avait quitté Montréal sans escorte à la fin de septembre et voyagé de nuit en suivant un parcours à travers bois pour tromper lâennemi.
â Monseigneur, fit-il dâune voix résolue, je désapprouvais cette décision et je lâai fait sentir dès lâabord à monsieur de Denonville. Je ne puis comprendre quâun gouverneur qui vit dans ce pays et le connaît depuis quatre ans nâait pas compris lâimportance de maintenir un tel poste. Lâexpérience nous a pourtant fait voir les avantages quâon pouvait en tirer pour conserver le commerce avec nos alliés qui, autrement, se seraient donnés aux Anglais il y a belle lurette. Comment nâa-t-il pas vu que la démolition du fort nous ruinerait de réputation?
Repentigny était indigné. Le sang lui montait aux joues et intensifiait le cuivré de son teint, qui virait au brique. Il continua, en portant encore plus haut le ton :
â Le simple fait que les Iroquois en aient exigé la destruction aurait dû empêcher le gouverneur de céder devant eux, ne serait-ce que pour ne pas augmenter la fierté de ces barbares et leur faire un aveu aussi évident de notre faiblesse!
Frontenac ponctuait ces propos de petits hochements de tête affirmatifs. Il finit par laisser échapper une espèce de rugissement douloureux, comme un long sanglot surgi des tréfonds de son âme. Il avait croisé les bras et incliné la tête. Y succéda un pesant silence quâon se garda bien de rompre; le vieux lion paraissait blessé. Il contenait difficilement une colère quâil se promit de ne laisser éclater quâen temps propice. Il finit par articuler, dâune voix bourrue :
â En ce qui vous concerne, messieurs, je vois que vous avez obéi aux ordres avec fermeté et diligence. Vous avez fait votre devoir de soldat et personne ne vous en tiendra rigueur. Maintenant, rompez.
* * *
Frontenac arpentait la pièce de travail de Callières comme un prisonnier sa cellule. Il fulminait. Sâil avait eu le gouverneur sortant devant lui, il lui aurait craché son fait au visage, mais Denonville avait quitté Montréal en catastrophe, la veille au soir. Comme la saison de navigation tirait à sa fin, il se hâtait vers Québec afin dâattraper le dernier bateau pour La Rochelle. Le roi le rappelait dâurgence à ses côtés pour lâaider à tenir tête à la vaste coalition qui se formait contre lui. LâAngleterre venait de prendre la tête de la ligue dâAugsbourg et de déclarer la guerre à la France. Son nouveau roi protestant, Guillaume dâOrange * , se présentait comme lâennemi juré de Louis XIV et des papistes. Triste perspective, dont la Nouvelle-France risquait de souffrir cruellement...
Louis savait à quel point le roi était
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