Frontenac_T1
jusquâà lui. Mis en joie par la perspective dâun repas en bonne compagnie, il sâengagea prestement dans lâescalier. Dans la salle à manger lâattendait Callières, entouré de quelques officiers, dâOureouaré et de Charles de Monseignat, le secrétaire de Frontenac. La table était couverte de victuailles et de pichets de vin. Poule au pot, rôti de chevreuil et pâté dâanguilles dégageaient un agréable fumet.
Frontenac et Callières attaquèrent les plats avec un égal appétit. Le festin allait bon train. Le ton montait et les regards sâégayaient lorsquâune rumeur de bruits de sabots vint couvrir les conversations. On courut à la fenêtre.
â Câest le commandant Valrennes qui sâamène avec ses hommes, articula un officier, la bouche pleine. Et nâest-ce pas Saint-Pierre de Repentigny qui sâavance à ses côtés?
Louis frémit. Il se leva dâun bond, décontenancé. Voilà bien ce quâil craignait. Des militaires pénétrèrent dans la pièce, les uns à la suite des autres, lâair penaud, le casque de fourrure à la main. La neige qui dégoulinait de leur manteau et de leurs mocassins laissait en fondant sur le parquet de larges traces mouillées. Un silence gêné sâinstalla, que le commandant rompit aussitôt.
â Monseigneur, je reviens de chez monsieur de Denonville qui mâa enjoint de venir vous délivrer ce message. Jâai dû obéir aux ordres portés par monsieur de Repentigny et faire raser le fort Cataracoui.
Le sieur de Valrennes, qui venait de prononcer ces paroles, avait mauvaise mine. Les yeux injectés de sang et le visage fiévreux, il tenait à peine debout. Il revenait du fort Cataracoui, dâoù il nâavait pas été relayé depuis des mois. Sa garnison et lui avaient survécu tant bien que mal, isolés au bout du monde et entourés dâIroquois hostiles qui les empêchaient de se ravitailler.
Frontenac lui faisait face, dans une rigidité toute militaire. La fixité et la brillance de son regard trahissaient seules la tempête qui montait en lui. Valrennes connaissait lâattachement de Frontenac pour son fort et se sentait malheureux de lui porter une telle nouvelle. Aussi sâempressa-t-il dâajouter :
â Le gouverneur Denonville mâa laissé toute liberté de reculer ou dâavancer mon départ, monseigneur. Or, ma garnison était réduite à une quarantaine dâhommes, tous malades du scorbut. Nos vivres étaient à ce point raréfiés que nous nâavons mangé que des racines et du castor salé pendant des mois. Pour empêcher que le fort ne tombe entre les mains des Iroquois ou des Anglais, poursuivit-il en posant un regard plus soutenu sur Frontenac qui venait de serrer les dents et de froncer les sourcils, jâai dû, comme me le recommandait monsieur de Denonville, faire miner les bastions, les murailles, les tours et chacun des bâtiments. Jâai préalablement fait dégringoler les canons de fer dans le fleuve et fait couler les trois barques en abandonnant les ancres par le fond. Quant aux canons de fonte, ils ont été transportés et cachés au lac Saint-François. Après mâêtre retiré avec mes hommes, jâai entendu une violente déflagration.
â Ãtes-vous retourné sur les lieux pour constater les dégâts? questionna Louis, dâune voix blanche.
â Non, monseigneur, nous craignions trop dâêtre rejoints par nos ennemis. Jâignore lâétendue des dommages, mais je ne peux que supposer quâils sont importants.
â Se peut-il que les pertes ne soient que partielles et que certains murs soient restés debout?
â Avec la technique que jâai utilisée, sur les conseils de monsieur de Denonville, jâaurais tendance à vous dire non. Quoiquâon ne sache jamais, monseigneur. Jâai étayé les murailles avec des bois goudronnés auxquels jâai fait mettre le feu. Jâignore, par contre, si tout a flambé. Câest toujours un pari...
â Il est donc possible quâune partie du fort soit restée intacte?
â Tout est possible, monseigneur, répondit encore Valrennes, qui se mit à implorer un miracle pour que sa mèche ait fait long feu.
â Avez-vous des
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