Frontenac_T1
iroquois lui avait donné à réfléchir. On ne pouvait plus mener la guerre ici comme on la menait sur les champs de bataille européens. Le territoire avait une dimension hors de proportions avec ce qui existait outre-mer, et lâhiver rigoureux posait des problèmes de logistique connus des seuls pays froids dâEurope, comme la Scandinavie ou lâempire des tsars.
Mais câétaient surtout les techniques de lâart militaire européen qui devenaient carrément obsolètes. Les masses compactes dâunités de mousquetaires appuyées de piquiers sâavançant en terrain découvert vers celles de lâennemi, dans le lustre des uniformes chamarrés de couleurs vives et des armes brillant au soleil, étaient proprement impensables. Il nây avait ici ni routes, ni artillerie de campagne, ni cavalerie à envoyer au-devant des envahisseurs pour freiner leur avance. Callières avait compris que lâessentiel de ses connaissances et de son expérience de la guerre ne lui servirait à rien sâil ne concevait une façon de faire mieux adaptée au pays. Or, les officiers canadiens Hertel de la Fresnière et Pierre Le Moyne dâIberville appliquaient déjà avec succès de nouvelles stratégies de guerre dâincursion, basées sur lâembuscade.
â Nous allons organiser de petites troupes dâélite légères et rapides, à lâindienne, qui débusqueront et repousseront lâIroquois. Je veux quâelles soient composées dâofficiers de métier, enchaîna Louis, lâÅil brillant, de miliciens canadiens et de quelques soldats français parmi les plus dégourdis. Et, bien sûr, de nos indispensables Indiens christianisés. Bien que nos Iroquois soient plus réticents à affronter leurs compatriotes que les Anglais, nâest-ce pas?
â Cela me paraît de moins en moins vrai, monseigneur. Surtout depuis les événements de Lachine. Les Iroquois des Cinq Cantons leur ont tué ou brûlé tellement de guerriers quâils semblent prêts à se battre à mort désormais.
â Ces partis de guerre doivent être mis sur pied rapidement, Callières. Je compte sur vous pour réaliser cela et je vous laisse carte blanche. Quant au plan dont je vous ai parlé succinctement tout à lâheure, je vous en ferai part plus en détail dès que jâaurai convoqué mon état-major. Nous nâavons pas réussi à attaquer la Nouvelle-York et Albany, mais je vous jure que les Anglais ne perdent rien pour attendre!
Louis se tourna vers la fenêtre et se croisa les bras sur le torse en fixant longuement le fleuve. Ce jour-là , des rafales de vent brassaient en tous sens les eaux grises et charriaient à toute vitesse les masses de nuages accumulées au-dessus dâelles, ce qui laissait présager des conditions de navigation difficiles. Le retour à Québec allait encore sâavérer pénible. Louis réprima son impatience. Il en avait assez de ces longues et houleuses équipées navales qui le laissaient frigorifié et las, et aspirait au confort et à la stabilité de la terre ferme. Il attendait dâailleurs fébrilement le bateau plat qui devait le ramener à Québec et dont le calfatage, opération consistant à en étanchéiser la coque avec de lâétoupe et du goudron, sâéternisait.
Mais le souvenir de Fort Cataracoui sâimposa à lui avec une telle force quâil sây abandonna avec délice. Il le revit tel quâil lâavait laissé, sept ans plus tôt. Il le reconstruirait. Envers et contre tous! Il avait dâailleurs chargé un de ses meilleurs officiers, dâAilleboust de Manthet, de conduire dès le petit printemps une expédition dâune centaine dâhommes déterminés pour constater lâétendue des dégâts.
Callières allongea les bras et fit craquer ses jointures. Lui aussi était ailleurs. Il repensait au projet de prise de la Nouvelle-York qui avait si lamentablement échoué, faute de volonté royale. Une entreprise élaborée jusque dans le moindre détail et qui lui tenait à cÅur. Nâétant pas lui non plus du genre à capituler facilement, il sâétait remis à sa table de travail et avait conçu un deuxième, puis un troisième projet de conquête.
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