Frontenac_T1
force aux côtés des Anglais? à moins quâelles ne soient en train de préparer des offres de paix? Louis revenait sans cesse à cette idée obsédante : la paix. Il lâavait toujours préférée à la guerre. Un compromis bien négocié lui avait toujours semblé préférable à nâimporte quelle guerre. Mais il se savait en terrain miné. Ni Callières, ni Champigny, ni Vaudreuil, ni aucun officier ne lâencourageaient à poursuivre dans cette direction.
Pendant quâil nourrissait ces idées lancinantes, les habitants menaient un train dâenfer et fêtaient la débâcle. Des grappes de gens massés sur le Cap-aux-Diamants et sur les remparts dansaient et chantaient au son des violons. Quelques soldats avaient quitté leurs redoutes pour se mêler aux fêtards et cela prenait tournure de charivari.
Louis finit par se laisser gagner par la bonne humeur ambiante. Ce peuple le surprendrait donc toujours. Si les Canadiens étaient de bons combattants et des travailleurs passablement acharnés, ils se caractérisaient surtout par leur étonnante propension à tirer prétexte de tout pour faire la fête. Câétaient de grands viveurs, de joyeux drilles et des boute-en-train hors pair. Une bonhomie et une joie de vivre quâil nâavait rencontrées à ce degré nulle part ailleurs. Louis décida de laisser ses hommes sâamuser quelque temps; il fallait savoir à lâoccasion donner du lest.
En réintégrant ses quartiers, il réalisa que malgré les fenêtres fermées à double tour, le grondement de fond, sourd et caverneux, persistait. Ni matelas, ni traversins, ni oreillers, ni bonnets ne pourraient masquer un pareil bruit. Comme le dégel durait de deux à six jours, il faudrait faire avec. Mieux valait donc profiter de lâeffervescence du printemps, tout en gardant lâesprit assez alerte pour faire face aux périls qui sâannonçaient.
* * *
Cet été-là avait été particulièrement fébrile. Comme la menace dâune invasion anglaise planait toujours sur la colonie, Frontenac avait jugé plus prudent de demeurer à Québec. Il se rendrait à Montréal à lâautomne, si la situation le permettait. Contre toute attente, les nouvelles recrues étaient enfin arrivées. à force de les réclamer en vain, Louis avait fini par ne plus y croire, et pourtant, trois vaisseaux du roi les avaient bien débarquées devant Québec par une froide et brumeuse nuit de mi-avril.
Sur quatre cents hommes, trente-sept manquaient malheureusement à lâappel. La fatigue de la longue traversée et la maladie avaient eu raison de leur résistance et une poignée dâautres étaient morts, peu de temps après leur arrivée. Louis avait dû en faire hospitaliser une bonne centaine et en avait réparti temporairement une centaine dâautres sur les côtes. Seuls les plus vigoureux avaient été expédiés à Montréal. Câétaient encore des soldats peu entraînés, mal nourris et incapables dâentreprendre une campagne nécessitant de lâendurance. Louis nâavait pas caché sa déception. Il avait pourtant demandé des hommes particulièrement aguerris. Avec une si pitoyable relève, il voyait mal comment tenir tête à la nuée dâAnglais qui menaçait à tout moment de sâabattre sur les côtes.
On avait attendu lâennemi sur un pied de guerre permanent pendant des semaines. Mais plus le temps passait et plus on commençait à douter de la réalité de cette menace. Louis avait pourtant appris le départ de la flotte de Boston au début de mai, mais depuis lors... rien ne sâétait produit, aucune embarcation anglaise nâavait paru. Câétait à nây rien comprendre. Le Saint-Laurent avait pourtant été patrouillé sans relâche jusque dans le golfe, de jour comme de nuit.
Le mystère persistait toujours à lâaube de ce matin dâaoût, quand on vit se pointer dans lâentrée de lâestuaire une grande voile, suivie de quelques autres, plus petites. On sonna rapidement lâalarme, pour réaliser bientôt que ce nâétaient que des navires marchands battant pavillon français. La correspondance destinée au gouverneur général lui fut
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