Frontenac_T1
expédiée avant le déchargement. Louis fit rapidement sauter les scellés et sâempressa de décacheter dâabord les lettres du ministre. Il y en avait une bonne dizaine. Il sâinstalla en hâte devant son pupitre et commença par la plus ancienne.
Hormis les affaires courantes, Pontchartrain lui apprenait que lâattaque anglaise prévue contre Québec avait bel et bien été confirmée par différents rapports circonstanciés, et quâil nây avait guère lieu de douter de sa survenue. Cela avait justifié lâenvoi des troupes actuelles.
Louis se gratta le crâne en signe de perplexité.
« Fort bien, se dit-il, déconcerté. Jâai les soldats â si on peut appeler ainsi cette poignée de malheureux maigres comme des clous et incapables de tenir une arme par le bon bout â mais je ne trouve pas lâennemi. La flotte ne peut pourtant pas sâêtre abîmée en mer corps et biens! Où sont donc passés les Anglais? »
Il apprit par contre avec étonnement que le roi renvoyait Pierre Le Moyne dâIberville à la baie dâHudson. Il enjoignait Frontenac de lui envoyer par le retour des vaisseaux quelques hommes fiables pour rafraîchir son équipage, et de lui expédier aussi le mortier et les bombes laissés à Québec lâannée précédente.
â Il sâentête encore à le dépêcher là -bas? Par quel miracle cet histrion réussit-il à se faire pardonner ses échecs répétés? rumina-t-il en se carrant dans sa chaise.
Il parcourut rapidement le reste du texte, lâÅil mauvais. Il sentait monter en lui un sentiment dâexaspération.
â Quâa-t-il donc de plus que moi pour être tenu en si grande faveur?
La remarque, lancée dâun ton incisif, avait fusé malgré lui. Comme si chaque point marqué par Iberville était autant de perdu pour lui. La lettre suivante le fit bondir. Elle annonçait laconiquement quâétant donné les vents contraires, il se pourrait que la flotte dâIberville soit retardée et arrive trop tard pour cingler vers la baie dâHudson. Auquel cas le ministre demandait à Louis de décider sâil conviendrait de renvoyer lâhomme en France ou de le garder dans les parages de Terre-Neuve pour lui faire piller les rivages anglais.
â On lui ménage toujours une porte de sortie. Quoi quâil fasse, il demeure en haute estime. Notre César des mers est effectivement arrivé trop tard, encore une fois!
Pour être honnête, Louis devait admettre que lâaventurier nâétait pas responsable de ce nouvel échec, des vents exceptionnels ayant retardé de plusieurs semaines sa flotte.
Mais il était perplexe. La réputation dâIberville auprès du roi ne cessait de croître, alors que la sienne déclinait. à preuve, cette troisième lettre qui lui refusait encore le brevet de lieutenant général des armées de terre, réclamé pour le Canada : Sa Majesté nâa pas jugé à propos de vous donner ce brevet de lieutenant général pour la raison que vous nâen avez pas besoin dans le pays où vous êtes, et quâElle nâa accoutumé de donner ces sortes de dignités quâà ceux qui servent dans les armées en France . On ne pouvait être plus clair. Les années de service dans ce pays nâéquivaudraient jamais à celles passées dans la métropole.
Louis sâadoucit néanmoins lorsquâil prit connaissance du passage suivant concernant sa demande dâappointements pour son aumônier, son secrétaire et son chirurgien, une requête formulée à plusieurs reprises et dont il nâespérait plus de réponse. Mais voilà que le roi lui accordait une gratification de six mille livres, soit bien davantage que ce quâil réclamait. Il eut un franc sourire. Câétait là une fort bonne nouvelle. Il se sentit en de meilleures dispositions et ne put que bénir la générosité royale, aussi parcimonieuse fut-elle.
La suite sâavérait encore plus réconfortante.
Le ministre Pontchartrain se disait bien aise de lui donner avis que les Anglais, ayant envoyé une escadre aux îles de lâAmérique avec deux régiments dâinfanterie, et y ayant joint les milices de leurs îles, ont fait
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