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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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à cette sensation de joie qui l’avait submergé plus tôt. Il s’étonna de retomber si facilement dans ce sillon. À croire qu’il était mieux fait pour le côté sombre de la vie que pour son côté clair.
    â€” Inéluctable atavisme, souffla-t-il à voix basse en se remémorant son propre père.
    Il le revoyait sans difficulté, celui-là, le visage contrit, la face constamment crispée, le dos voûté comme s’il portait sur ses épaules le poids du monde. Toujours insatisfait de lui-même et des autres, reluquant sans cesse plus haut que sa condition, envieux d’autrui et méfiant de son semblable au point de lui prêter dès l’abord des intentions malfaisantes. Un pisse-vinaigre, un rabat-joie, un éteignoir, voilà ce qu’avait été ce père de malheur! Comment s’étonner, dès lors, de sa propre propension à broyer du noir?
    Louis se gourmanda. Il exécrait cet héritage empoisonné et renvoya le souvenir de son géniteur aux oubliettes. Il avait des soucis concrets nécessitant une disposition d’esprit qu’il n’était pas question de gâcher avec de pareilles inepties. Il se remit donc au travail, tout en réalisant que sa douleur dans la fesse gauche avait complètement disparu. Il bénit le savoir-faire du récollet en savourant un instant cet opportun retour à la normale. Il s’agaça néanmoins du fait que le groupe de femmes iroquoises annoncé en début d’après-midi mettait un temps anormalement long à se présenter...
    * * *
    Suzanne Guantagrandi riait à belles dents et sa face cuivrée et parcheminée exprimait un vif plaisir. Son épaisse tignasse noire était emprisonnée dans un fourreau de cuir tressé qui lui retombait sur les reins. L’Iroquoise semblait prendre grand soin d’une crinière qu’aucun cheveu blanc ne déparait encore, malgré un âge avancé. Elle portait une longue tunique de peau bigarrée de broderies de perles sur laquelle pendaient des colliers de coquillages. Des bracelets d’os et de bois teint, fichés au-dessus du coude, complétaient la parure. C’était une femme petite et rondelette, au front large et au rire communicatif. Ses trois compagnes, issues du même clan, étaient aussi vives et affichaient des sourires aussi engageants.
    Son parler, empreint de vivacité et de musicalité, charma tout de suite ses hôtes. L’interprète, debout entre Frontenac et son invitée, traduisait ses propos avec rapidité et sans aucune difficulté. Suzanne avait longuement attendu cet instant, confia-t-elle à Louis, et avait maintes fois imaginé le moment où ses yeux verraient enfin Onontio. Elle bénissait le Créateur de la vie de lui avoir enfin permis de rencontrer le «Grand Soleil Levant », comme elle qualifiait Louis, ce qui fut musique à son oreille. Elle l’assura d’ailleurs que dans ses songes, elle se voyait terminant sa vie auprès des « robes noires *  » de Kaknawage, afin de pratiquer sa religion en toute quiétude. C’était désormais, semblait-il, son vœu le plus cher.
    La cheffesse avait de l’assurance et des manières aisées, probablement imputables à sa haute naissance. Le père Millet avait appris à Frontenac que cette mère de clan était issue des Agoïanders , le lignage d’où sortaient tous les grands chefs. Elle jouissait d’une grande influence dans les conseils, et les guerriers comme les anciens devaient tenir compte de son opinion. Si elle avait épargné la torture et la mort au père Millet en lui faisant prendre l’identité d’un grand sachem , elle avait également sauvé la vie de plusieurs Français en les adoptant ou en les prenant à son service comme esclaves. Il était connu qu’elle les traitait humainement. C’était une chrétienne convaincue et fort zélée. Louis trouva donc utile de lui faire bon accueil et de la traiter sur le pied d’un grand chef, autant parce qu’elle avait sauvé des vies françaises que parce qu’elle pouvait appuyer ses démarches de paix.
    Comme Louis savait à quel point les sauvages affectionnaient les marques de considération, il fit escorter ses visiteurs par les soldats de sa garde, cependant que l’on

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