Frontenac_T1
pots-de-vin, de rançons et de protection? Les gens dâici voyaient son retour dâun mauvais Åil, à part les quelques marchands et officiers que Frontenac avait toujours favorisés et qui flairaient à nouveau la bonne affaire. Et dâailleurs, lui, quâavait-il à se reprocher? Il nâavait fait que son devoir de commandant, deux ans plus tôt, en faisant quelques prisonniers iroquois lors dâune campagne militaire punitive menée contre leurs villages. La majorité de ceux qui avaient été appréhendés nâétaient que des espions à la solde des Cinq Nations. Sa seule erreur avait peut-être été dâobéir trop aveuglément au roi et dâexpédier certains de ces prisonniers aux galères de Marseille plutôt que de les garder ici.
Mais que répondre devant pareille accusation? Valait-il seulement la peine de sâen justifier? Il savait bien que le roi nâavait pas condamné son administration et que son rappel nâavait rien à voir avec les récents événements du Canada. La terrible guerre qui sâannonçait en Europe avait incité le roi à le ramener à ses côtés. Câétait une faveur accordée en considération de services rendus depuis plus de trente ans en qualité de colonel et de brigadier des armées du roi. Point à la ligne! Mais la cabale montée contre lui par certains marchands et militaires du clan Frontenac commençait à lâaffecter sérieusement. Sa santé déjà chancelante sâen trouvait à nouveau menacée.
Denonville se tourna tout de même vers son vieil interlocuteur et reprit, sans grande conviction toutefois, persuadé de prêcher dans le désert :
â Si les Iroquois ont fondu sur Lachine, câest quâils ont appris des Anglais, plusieurs mois avant nous, que lâAngleterre allait entrer en guerre avec la France. Câest pourquoi ils ont lâché toute leur puissance contre nous. Le gouverneur de la Nouvelle-York leur avait promis des vivres, des munitions et un asile pour les femmes et les enfants. Et ce nâest pas, ne vous en déplaise, grâce à votre prétendue habileté de négociateur quâils ne nous ont pas attaqués plus tôt, mais bien parce quâils avaient dâautres ennemis à soumettre. Une fois les Andastes * et les Mohicans assimilés ou anéantis, il ne leur restait plus quâà se tourner contre nous. Ce quâils font depuis le 5 août dernier. Ils rêvent maintenant de nous bouter à la mer pour mieux nous remplacer comme seul intermédiaire entre les tribus à fourrures de lâOuest et les Anglais. Ne commettez pas encore une fois lâerreur de les sous-estimer. Ce sont des ennemis intelligents, dangereux et absolument impitoyables.
Louis étouffa un rire dédaigneux.
Que croyait-il donc, ce négociateur de pacotille, ce stratège de salon, quâil connaissait mieux que lui ces peuples indigènes? Et quâil se serait niaisement laissé berner par de fausses promesses de paix tout au long de ces dix années de négociations avec les Cinq Nations, quand ses ennemis poursuivaient un plan précis en vue de rayer la Nouvelle-France de la carte?
â Balivernes, que tout cela! rétorqua Louis en se cabrant avec indignation.
On eût dit que son étroite silhouette vibrait au rythme de sa colère. Il enchaîna, en ponctuant son propos de vigoureux coups de canne.
â Câest prêter bien peu dâintelligence stratégique aux Iroquois! Bouter les Français à la mer! Vous croyez vraiment quâils sont assez naïfs pour penser quâune fois la Nouvelle-France démantelée, les Anglais vont les laisser occuper tout lâespace et contrôler le commerce avec le reste du continent? Les Iroquois ne sont pas dupes et sâils le sont, je saurai, moi, leur faire comprendre quâils ont tout intérêt à nous ménager!
Un coup de vent inopportun fit battre la fenêtre qui donnait sur le jardin. En tentant de la refermer, le marquis dut lutter avec les verrous rouillés et les pentures déformées par lâusure. En désespoir de cause, il glissa une chaise pour retenir le battant.
â Vous me laissez une habitation en aussi piteux état que le pays, ironisa Louis.
Son vis-à -vis lui jeta un regard agacé.
â
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