Funestes présages
qui les sépare est plus qu’un débat théologique. Il s’est passé quelque chose, dans leur jeunesse, des mots blessants qui ont entraîné des coups. Il se peut que l’abbé Stephen l’ait oublié, mais je ne crois pas que ce soit le cas pour Wallasby.
Elle reconduisit Corbett dans le vestibule. Un serviteur apporta leurs chapes et leurs ceinturons. Lady Margaret s’enquit des autres événements de l’abbaye et le magistrat lui répondit, l’esprit ailleurs. Ils sortirent sur le perron. Un palefrenier amena les chevaux qui hennissaient et piaffaient dans l’air glacé. Leur haleine et leur souffle formaient de petits nuages. Corbett leva les yeux vers le ciel gris et bas. Il risquait de neiger à nouveau. Un vent froid leur giflait le visage.
— Bon voyage, Sir Hugh.
La châtelaine tendit la main et Corbett la baisa derechef. Il s’apprêtait à descendre les marches quand une file d’hommes et de femmes en haillons sortirent du bosquet d’arbres qui bordait l’allée menant à l’entrée principale. Le clerc les regarda avec stupéfaction. Ils étaient trente ou quarante en tout, et conduisaient de petits poneys hirsutes chargés de hauts ballots retenus par des cordes. Ils avançaient avec résolution vers le manoir. Pendler, l’intendant, surgit en courant des écuries situées derrière la demeure.
— Madame, nous avons des visiteurs.
— Non, Pendler, lui répondit-elle gaiement, nous avons des hôtes.
Corbett fixa avec étonnement le groupe bigarré de mendiants qui approchait. La charrette aux roues tremblantes et craquantes qui les suivait était tirée par un cheval étique qui semblait ne pas avoir mangé depuis une éternité. Vêtus d’oripeaux divers, les vagabonds étaient si bien emmitouflés qu’on voyait à peine leurs têtes et leurs visages. Le chef s’avança, les mains levées, et salua Lady Margaret. Corbett n’aurait su dire s’il s’agissait de voyageurs, de larrons, de bohémiens ou d’une troupe itinérante de mimes.
— J’ignorais, Madame, que vous receviez.
Lady Margaret sourit et fit un signe de dénégation.
— Ils ont l’air d’avoir froid, chuchota-t-elle. Ce sont des voyageurs, Corbett. Ils ont droit de passage sur mon domaine. Ils seront les bienvenus céans jusqu’au dégel. Nous leur donnons de quoi se restaurer, nous nous occupons de leurs montures et leur fournissons de nouveaux habits.
— Un bel acte de charité, Madame.
— Pas tout à fait, Sir Hugh. C’est plutôt de la compassion. Je sais ce qu’il en est de voyager lors d’une quête désespérée et j’ai plus qu’il n’en faut pour partager avec eux. À présent, je dois aller m’en occuper.
Corbett comprit l’allusion. Il descendit les marches, prit les rênes de son cheval et se mit en selle. Ses compagnons l’imitèrent. Le magistrat salua de la main, remonta son capuchon et fit pivoter sa monture. Lady Margaret s’élançait déjà en bas des marches, pressée d’accueillir les arrivants. Corbett se trouvait presque au tournant qui menait au grand portail quand il entendit crier son nom. Pendler, l’intendant, se précipitait en glissant dans la neige. Il saisit l’étrier du magistrat et le regarda de ses yeux larmoyants.
— Un message de Lady Margaret, haleta-t-il. Un conseil ! En venant au château, ces étrangers ont aperçu des hommes dans la forêt. Ils n’appartiennent pas au domaine. Elle vous demande d’être prudents !
Corbett se pencha et lui tapota la main.
— Remerciez Lady Margaret. Nous serons sur nos gardes.
Il retint la main de Pendler dans la sienne.
— Votre maîtresse est bonne et charitable. Depuis combien de temps cela dure-t-il ?
— Oh, depuis des années ! Je ne me souviens pas depuis quand exactement. Ma maîtresse est une sainte, Sir Hugh.
Il retira sa main.
— Et il en est peu, ajouta-t-il.
Corbett lança un coup d’oeil vers le manoir. Lady Margaret était à présent au milieu de ses hôtes. Il rassembla les rênes, perdu dans ses pensées, et conduisit ses compagnons vers le portail.
Frère Richard, l’aumônier, sortit de la chambre des comptes et s’arrêta dans la petite cour pavée de briques. Il leva les yeux vers le ciel et jura tout bas devant la neige menaçante. Après la messe, tout était calme. En dépit du désordre et des crimes sanglants, les moines tentaient de s’en tenir à leur routine, de travailler dans le scriptorium du cloître, la bibliothèque ou l’infirmerie.
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