Furia Azteca
il s'en trouvait néanmoins à portée de voix. A part les vétérans endurcis, j'imagine que nous f˚mes très peu à
dormir cette nuit-là. Pour ma part, je ne fermai pas l'oil, car les
' tmissons ne me cachaient que si je me roulais en boule. Le crachin ne cessait pas. Ma capote était complètement trempée, de même que mon armure ; elle s'était collée à inon corps et pesait si lourd que je crus ne jamais pouvoir me redresser, le moment venu. Après des heures qui me semblèrent durer aussi longtemps que tout un faisceau d'années, j'entendis des bruits étouffés qui venaient du sud, sur ma droite. Le gros des troupes Acolhua devait se préparer à lever le camp, une partie allant à 4'embuscade et l'autre se jetant dans la gueule des Tex-calteca. Ce que j'entendais, c'était la voix d'un prêtre
I chantant la prière traditionnelle avant le combat, mais je 'en pus saisir que quelques bribes :
. *. " O puissant Huitzilopochtli, dieu des batailles, une guerre est en cours... Choisis, ô grand dieu, ceux qui tueront et ceux qui seront tués ou qui seront capturés "omme xochimiqui, pour que tu puisses boire le sang de 291
leur cour... O Seigneur de la guerre, nous te prions de sourire à ceux qui vont mourir sur le champ de bataille ou sur ton autel... qu'ils aillent tout droit vers la maison du soleil, pour revivre, aimés et honorés, en compagnie des braves qui les ont précédés... "
Br-ra-aoum ! Bien que raide et empêtré, je sursautai violemment sous le tonnerre conjugué de l'ensemble des " tambours qui déchirent le cour ".
Même la pluie, qui étouffe les bruits, ne parvenait pas à assourdir ce grondement d'apocalypse qui nous faisait claquer des dents. J'espérais que cet épouvantable vacarme ne ferait pas fuir les troupes Texcalteca avant qu'elles soient encerclées par la manouvre de surprise de Ne/ahualpilli. Au roulement des .tambours, vinrent s'ajouter les lamentations, les bêlements et les couinements des conques mannes. Puis, tout ce tumulte finit par s'apaiser, à mesure que la musique conduisait Farmée-app‚t loin de nous, vers la rivière et vers l'ennemi en attente.
A cause des gros nuages de pluie qui étaient sur nous, presque à portée de-la main, le lever du soleil passa presque inaperçu, mais il faisait tout de même un peu plus clair. Assez clair, du moins, pour que je me rende compte que le buisson derrière lequel j'étais resté recroquevillé toute la nuit, n'était en fait qu'un huixachi rabougri, qui avait perdu presque toutes ses feuilles et qui n'aurait pas dissimulé un écureuil. Il me fallait chercher un autre endroit pour m'embusquer et j'avais tout mon temps pour le trouver. Je me levai en grinçant, portant mon macquauitl et tirant ma lance pour qu'elle ne dépasse pas des buissons environnants et je me mis à
avancer accroupi, par petits bonds.
Aujourd'hui encore, mes révérends, je serais incapable de vous expliquer pourquoi je pris cette direction, quand bien même vous utiliseriez tous les moyens de l'Inquisition. J'aurais pu reculer ou aller d'un autre côté pour trouver une cachette, tout en restant à portée de voix de mes camarades.
Mais, c'est vers l'avant que je me dirigeai, vers l'est et vers l'endroit o˘ allait bientôt se dérouler la bataille. Peut-être y avait-il une voix au-dedans de moi qui me disait : tu vas assister à ta première guerre, Nuage Noir. Ce sera peut-être la seule à
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laquelle tu participeras jamais. Ce serait dommage de rester à l'écart, dommage de ne pas en tirer le plus d'enseignements possibles.
Cependant, j'étais encore loin de la rivière o˘ les Aco-Ihua affrontaient les Texcalteca. Je ne perçus même pas les bruits de la bataille, jusqu'au moment o˘ les Aco-Ihua, simulant l'affolement, quittèrent la rivière et que l'ennemi, comme l'avait escompté Nezahualpilli, se précipita, de toutes ses forces, à leur poursuite. C'est alors que j'entendis les hurlements des cris de guerre, les gémissements et les jurons des blessés et surtout le sifflement des flèches et le crissement des javelots. A l'école, nos armes inoffensives ne faisaient aucun bruit, mais les projectiles que j'entendais maintenant étaient de vrais traits, avec des pointes et des lames d'obsidienne et, comme s'ils exultaient d'être capables de donner la mort, ils chantaient en traversant les airs. A partir de ce jour, chaque fois que je rédigeai une histoire de bataille, je dessinai les flèches, les lances et les javelots
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