Furia Azteca
trois chiens. Nous sommes dans le pays du jaguar, nous allons rester éveillés tous les deux, cette nuit, et t‚cher d'en avoir un. " II fouilla les bois autour de notre campement et finit par découvrir un arbre mort et creux ; il en tailla un morceau qui avait à peu près la longueur de son avant-bras. Puis, il prit la peau d'un des petits chiens que l'esclave Dix était en train de faire rôtir sur le feu et l'enfila sur l'une des extrémités du cylindre de bois, en l'attachant avec une ficelle, comme pour faire un tambour de fortune. Ensuite, il perça un trou dans le milieu de la peau de chien ; il y fit passer une lanière de cuir en la nouant pour qu'elle ne passe pas au travers de la peau. Ainsi, la lanière pendait à
l'intérieur du tambour et Gourmand de Sang passant sa main par le côté
ouvert, racla tout le long son ongle rugueux. La peau du tambour amplifia le grattement, en donnant exactement le même son que le grognement d'un jaguar.
" S'il y a un félin dans les parages, me dit le vieux soldat, sa curiosité
naturelle va le pousser à venir du côté de notre feu, mais il ne s'approchera pas de trop près et dans le vent. Nous allons faire comme lui et partir dans le bois pour chercher un endroit adéquat o˘ vous vous installerez, Mixtli, avec le tambour pour faire le bruit de grognement, pendant que je me cacherai à portée de javelot. La^umée de notre feu sera suffisante pour couvrir notre odeur et votre appel l'intriguera suffisamment pour qu'il nous vienne droit dessus. "
Je n'étais pas précisément ravi à la perspective de servir d'app‚t au jaguar, néanmoins je laissai Gourmand de Sang me montrer comment il fallait se servir de son invention pour émettre des bruits à intervalles irréguliers : de petits grognements et des grondements plus prolongés.
Après le dîner, Cozcatl et les esclaves s'enroulèrent dans leurs couvertures, tandis que Gourmand de Sang et moi nous en all‚mes avec le vent dans le dos. Lorsque le feu ne fut plus qu'une faible lueur, encore qu'on en sentît la fumée, nous nous arrêt‚mes dans ce que Gourmand de Sang appelait une clairière. Pour ma part, c'aurait aussi bien pu être une des caver-405
nés du Séjour Sacré. Je m'assis sur une pierre et il alla se tapir quelque part derrière moi. Tout était calme. J'enfilai ma main à l'intérieur du tambour pour gratter la lanière de cuir avec mon ongle - un grognement, une pause, un grognement et un grondement, une pause, trois grognements menaçants...
Cela ressemblait tant au ronronnement inquiétant d'un gros félin en chasse, que j'en avais la chair de poule. Les histoires que j'avais entendues raconter par des chasseurs de jaguar expérimentés me revenaient, malgré
moi, en mémoire. C'est un animal, prétendaient-ils, qui n'a pas besoin de s'approcher tout près de sa proie. Il possède la faculté d'hoqueter violemment et son souffle annihile alors complètement sa victime. Ils disaient aussi que le chasseur qui employait des flèches devait toujours en avoir quatre sous la main, car le jaguar est réputé pour savoir esquiver le trait qu'on lui décoche, l'attraper avec ses dents et le réduire en miettes, de manière insolente. Aussi, le chasseur doit faire partir quatre flèches presque en même temps, en espérant que l'une d'elles sera la bonne et en sachant qu'il lui sera impossible d'en lancer plus de quatre avant d'être anéanti par les hoquets de l'animal.
J'essayais de me changer les idées en improvisant des variations dans mes raclements - des grognements brefs pareils à des gloussements de joie ou les grommellements étirés d'un félin qui b‚ille. Je commençais à me sentir véritablement expert dans cet art surtout lorsque je fus parvenu à produire un bruit après avoir l‚ché la lanière de cuir et j'étais en train de me demander si je ne pourrais pas mettre au point un nouvel instrument de musique dont je serais le seul à jouer pendant les cérémonies...
Soudain, un autre grognement parvint à mes oreilles, qui me fit sortir brutalement de ma rêverie, terrorisé, car ce n'était pas moi, cette fois, qui avais produit ce bruit. Je sentis une odeur d'urine et malgré ma vue déficiente, j'eus l'impression qu'une tache plus sombre, s'ajoutant à
l'obscurité, passait furtivement derrière moi pour se glisser sur ma gauche. Malgré la frayeur qui me paraly-406
sait, je parvins à faire ce que j'espérais être un grognement de bienvenue.
qu'aurais-je pu
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