Furia Azteca
pochteca qui avait été scalpé prit le xelolôni une petite hache symbolique. Si j'avais été un citoyen ordinaire, cette hachette n'aurait été qu'un simple outil avec un manche en bois et une tête de silex, mais celle-ci avait une poignée en argent tnassif et une lame de jade. Le vieux pochtecatl la brandit, éructa bruyamment et dit :
" Nous avons bien entendu, Seigneur Orateur. Et tout le monde ici a entendu que le jeune Tlilectic-Mixtli souhaite, à partir d'aujourd'hui, endosser toutes les responsabilités, tous les devoirs et tous les privilèges de l'‚ge adulte. Puisque vous et lui le désirez, qu'il en soit ainsi. "
II fit avec sa hachette le geste de fendre, rendu particulièrement emphatique par l'ivresse et faillit couper l'unique pied qui restait à son confrère. Puis, ils se levèrent tous les trois en emportant la hache. Us sortirent de la salle en titubant, celui qui n'avait qu'un pied sautillant entre ses deux compagnons. Sitôt les Anciens disparus, on entendit le brouhaha provoqué par l'arrivée de Zya-nya. La foule massée à l'entrée du palais l'acclamait : " Bienheureuse fille ! Fille fortunée ! "
Le déroulement de la cérémonie était bien organisé car elle fit son apparition^ au moment du coucher du soleil, comme il se doit. La salle qui s'était peu à peu obscurcie, se mit à scintiller d'une lumière dorée à
mesure que les serviteurs allumaient les torches de pin accrochées aux murs peints. La salle étincelait de tous ses feux lorsque Zyanya franchit le seuil escortée par
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deux dames du palais. Le jour de son mariage et ce jour-là seulement, il est permis à toute femme d'user des artifices des courtisanes pour rehausser sa beauté : se teindre les cheveux, s'éclaircir le teint et se rougir les lèvres. Zyanya, elle, n'avait pas besoin de tous ces subterfuges. Elle était vêtue d'un corsage et d'une jupe d'un jaune p‚le et virginal et portait, selon la coutume, des plumes aux bras et aux chevilles. Elle les avait choisies noires et blanches, sans doute pour répéter et accentuer sa longue chevelure flottante striée d'une mèche blanche.
Les deux dames la conduisirent jusqu'à l'estrade, au milieu des murmures admiratifs de l'assemblée. Nous étions face à face ; elle avait un air timide et moi une expression solennelle comme l'exige une telle circonstance. Le prêtre nous invita à nous asseoir côte à côte.
En principe, à ce moment de la cérémonie, les amis et les parents des mariés doivent venir apporter leurs présents. Comme nous n'avions aucune famille dans l'assistance, ce furent Gourmand de Sang, Cozcatl et une délégation de la Maison des Pochteca qui s'avancèrent, chacun à leur tour ; ils embrassèrent la terre et déposèrent des cadeaux à nos pieds. Pour Zyanya, c'étaient des corsages, des jupes et autres parures de la plus belle qualité et pour moi, toutes sortes de vêtements également, ainsi que des armes comprenant un macquauitl ouvragé, un poignard et un carquois avec des flèches.
Lorsque la distribution de cadeaux fut terminée, vint le moment pour Ahuizotl et pour une des dames qui avaient accompagné Zyanya, de psalmodier les traditionnels conseils parentaux au couple qui s'unit. Sur un ton monocorde et indifférent, Ahuizotl me dit, entre autres choses, de ne jamais rester au lit quand j'entendrais le cri de Papan, l'Oiseau du Matin, et d'être prêt à me mettre au travail. La rhère de remplacement de Zyanya récita la longue liste des devoirs de l'épouse. Tout y passa, y compris la recette favorite de cette dame pour préparer les tamales. Comme si c'avait été un signal, un serviteur apporta alors un plateau de ces p‚tés de semoule de maÔs, de viande et de piment tout fumants dans leur feuille de maÔs et le déposa devant nous.
Sur un signe du prêtre, Zyanya et moi en prîmes cha-540
cun un pour nous le faire manger mutuellement, ce qui, je vous le jure, n'est pas chose facile. Le nez de Zyanya et son menton étaient tout gras mais nous p˚mes cependant avaler une bouchée symbolique de cette offrande réciproque. Pendant ce temps, le prêtre se lança à nouveau dans une longue harangue que je ne vous infligerai pas. A la fin, il se pencha, prit un coin de mon manteau et un coin du corsage de Zyanya et les noua ensemble.
Nous étions mariés.
La musique éclata alors joyeusement et une clameur s'éleva de l'assemblée, tandis que la rigidité du rituel faisait place à la gaieté générale. Les
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