Furia Azteca
pourquoi Zyanya, tout comme la nuit dernière, se mit à
rire à gorge déployée.
Une nouvelle maison, c'est aussi une nouvelle vie pour ses occupants et nous étions tous très absorbés par notre installation. Zyanya ne venait jamais à bout de ce travail interminable qui consiste à fureter parmi les étals des marchés et les ateliers des artisans en quête " des nattes qui iraient si bien sur le sol de la chambre d'enfant " ou de tout autre article qui avait le don de lui échapper éternellement.
Mes apports personnels n'étaient pas toujours bien reçus, par exemple, une petite statue de pierre que j'avais achetée pour la niche de l'escalier et que Zyanya avait qualifiée de " hideuse ". Elle l'était en effet, mais je l'avais achetée parce qu'elle me rappelait le déguisement de vieillard ratatiné que Nezahualpilli avait si souvent choisi pour m'aborder. En réalité, c'était la statue de Huehueteotl, le Plus Vieux des Vieux Dieux.
Bien que son culte f˚t un peu tombé dans l'oubli, ce vieux Huehueteotl, tout ridé et au sourire sardonique, était toujours vénéré comme le premier dieu reconnu sur cette terre, depuis des temps immémoriaux, bien avant quetzalcoatl et d'autres dieux plus récents. Comme Zyanya avait refusé que je le mette en vue, j'avais placé le Plus Vieux des Vieux Dieux au chevet de mon lit.
Au cours des premiers mois qu'ils passèrent chez nous, nos trois domestiques suivirent, pour leur plus grand bien, les cours de l'école de Cozcatl. La petite servante Chatouilleuse ne riait plus à chaque fois qu'on lui adressait la parole et se contentait de faire un sourire modeste et avenant. Chanteur …toile était devenu si attentionné qu'il me présentait un poquietl allumé à chaque fois que je m'asseyais ; aussi, pour ne pas découra-589
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ger sa bonne volonté, je me mis à fumer davantage que je ne l'aurais voulu.
Ma principale occupation, à cette époque, fut de consolider ma fortune.
Depuis quelque temps, des caravanes de pochteca arrivaient à Tenochtitl‚n, en provenance de l'Huaxyacac, apportant dans leurs paquets des fioles de teinture pourpre et des écheveaux teints qui avaient été légalement acheté
au bishôsu Kosi Yuela. Les marchands les avaient payés un prix exorbitant, mais ils les revendirent bien plus cher encore aux commerçants du marché de Tlaltelolco. Toutefois, les nobles mexica, et surtout leurs épouses, se prirent d'un tel engouement pour cette teinture extraordinaire qu'ils étaient toujours prêts à en acheter, quel qu'en soit le prix.
Une fois que cette pourpre légitimement acquise eut été mise en circulation sur le marché, je commençai à déverser discrètement la mienne. Je l'échangeai contre des marchandises moins compromettantes : jades sculptés, émeraudes et autres pierres précieuses, bijoux et poudre d'or. Cependant nous prîmes soin de garder assez de teinture pour notre usage personnel et nous possédions certainement plus de vêtements brodés de pourpre que l'Orateur Vénéré et toutes ses femmes réunis. Je puis vous assurer que notre maison était la seule dans Tenochtitl‚n dont les fenêtres étaient garnies de tentures entièrement pourpres. Mais seuls nos invités pouvaient s'en rendre compte, car elles étaient doublées, côté rue, avec des étoffes beaucoup moins somptueuses.
Souvent, nous recevions la visite d'amis de longue date : Cozcatl, devenu maintenant maître Cozcatl ; des confrères de la Maison des Pochteca et les vieux compagnons de Gourmand de Sang qui m'avaient aidé à prendre la pourpre. Nous avions également fait de nombreuses connaissances parmi nos voisins de Ixa-cualco et parmi la noblesse que nous rencontrions à la cour
- en particulier des femmes conquises par le charme de Zyanya. L'une d'entre elles était la Première Dame de Tenochtitl‚n, c'est-à-dire la première épouse d'Ahuizotl. quand elle venait nous rendre visite, elle amenait souvent avec elle son fils aîné, Cuauhtemoc, Aigle qui tombe, successeur le plus probable de son
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père. Chez les Mexica, la succession au trône ne se faisait pas automatiquement de père en fils, comme dans certaines nations. Néanmoins, la candidature du fils aîné serait la première à être examinée par le Conseil, puisque le Uey tlatoani n'avait pas de frère. C'est pourquoi Zyanya et moi, nous témoignions à Cuauhtemoctzin et à sa mère la plus grande déférence.
Parfois, nous avions la visite d'un messager militaire ou de
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