Furia Azteca
j'avais à moi tout seul conçu, porté et mis l'enfant au monde.
Pendant que Béu restait au chevet de Zyanya, le médecin et la sage-femme vinrent m'annoncer que l'enfant était une fille et ils répondirent à mes questions anxieuses. Ils durent me prendre pour un fou quand je, leur demandai en me tordant les mains : " Dites-moi la vérité. Je serai fort.
N'est-ce pas deux filles dans un même corps ? " Non, ils m'assurèrent qu'il n'était pas question de jumelles d'aucune sorte, mais d'une seule fille.
Non, elle n'était pas spécialement grande. Non, elle n'avait rien de monstrueux et ne semblait marquée d'aucun signe funeste. Lorsque je questionnai le médecin au sujet de ses yeux, il me répliqua avec une certaine exaspération que généralement les nouveau-nés n'ont pas une vue d'aigle et qu'en tout cas, ils ne s'en étaient jamais vantés. Il faudrait que j'attende qu'elle sache parler pour qu'elle puisse me le dire.
Ensuite, ils me donnèrent le cordon ombilical de l'enfant et retournèrent dans la chambre pour plonger Une Herbe dans l'eau froide et pour l'emmailloter. Puis
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la sage-femme lui débita les paroles habituelles. Je descendis et, de mes mains tremblantes, tout en marmonnant des prières et des remerciements silencieux aux dieux, j'enroulai le cordon humide autour d'un petit rouet de terre cuite que je glissai derrière les pierres du foyer de la cuisine.
Ensuite, je remontai les escaliers en courant et j'attendis avec impatience qu'on m'autorise à voir ma fille.
J'embrassai ma femme qui me fit un p‚le sourire et j'examinai avec ma topaze le visage minuscule blotti au creux de son bras. J'avais déjà vu des nouveau-nés, aussi ne fus-je pas trop surpris. Elle était rouge et plissée comme une cosse de chili chopini, chauve et laide. Je m'efforçais en vain de faire monter en moi une bouffée d'amour paternel. Toutes les personnes présentes m'assuraient que c'était bien ma fille, mais je les aurais crues tout autant si elles m'avaient dit que ce nouveau-né était un singe hurleur sans poils.
Pourtant, de jour en jour, l'enfant prit une apparence plus humaine et je commençais à la prendre en affection. Je l'appelai Cocoton ; c'est un surnom très courant chez les filles qui veut dire miette de pain. Elle se mit rapidement à ressembler à sa mère et par conséquent à sa tante. Ses cheveux poussaient en boucles souples et ses cils étaient aussi épais, en miniature, que les cils de colibri de Zyanya et de Béu. Elle souriait maintenant plus souvent qu'elle ne criait et elle avait le sourire de Zyanya qui obligeait tout le monde à lui répondre. Même Béu qui, ces dernières années, était devenue si froide, ne pouvait s'empêcher de lui rendre son radieux sourire.
Zyanya se leva rapidement et pendant un certain temps, elle se consacra entièrement à Cocoton qui lui réclamait fréquemment son lait. Lorsque Cocoton eut deux mois et qu'elle n'eut plus si souvent besoin du lait maternel, Zyanya commença à montrer des signes d'ennui.
Elle avait été confinée à la maison pendant de nombreux mois, sans aller plus loin que le jardin en terrasse o˘ elle allait s'exposer aux rayons de Tonatiuh et à la brise d'Ehecatl. Elle me déclara qu'elle aimerait sortir un peu et elle me rappela que la cérémonie en l'honneur 621
de Xipe Totec allait bientôt se dérouler au Cour du Monde Unique. Elle voulait y aller, mais je le lui interdis formellement.
" Cocôton est venue au monde sans signes funestes, ni malformation et il semble qu'elle ait une bonne vue, gr‚ce à ton tonalli, au mien ou à la volonté des dieux. Tant qu'elle ne sera pas sevrée, il faut prendre garde que les mauvaises influences ne s'infiltrent dans ton lait, au cas o˘ tu serais effrayée ou bouleversée par un spectacle impressionnant. Rien n'est plus susceptible de te troubler que la cérémonie de Xipe Totec. On ira n'importe o˘, mon amour, mais pas là. "
Oui, Excellence, j'ai souvent assisté à cette célébration car c'est l'un des rituels religieux les plus importants chez les Mexica comme chez d'autres peuples. C'est une cérémonie saisissante et inoubliable, mais je ne pense pas qu'aucun des participants, ni aucun des spectateurs ait jamais pu y trouver du plaisir. Cela fait bien des années que je n'ai pas vu Xipe Totec mourir et renaître et j'ose à peine vous décrire comment cela se passait - et ma répugnance ne doit rien au fait que je sois devenu chrétien et civilisé.
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