Furia Azteca
à toucher la montagne, en fin d'après-midi, le si-riame apparut sur le seuil de sa maison, souriante, vêtue de ses peaux de jaguar, tenant d'une main son b‚ton à pommeau d'argent et de l'autre, une balle de bois peinte en jaune. Elle observait le soleil, tandis que les coureurs et leurs supporters semblaient impatients de prendre le départ. A l'instant o˘ Tonatiuh se posa sur la montagne, elle lança la balle dans les pieds des six participants. Une clameur s'éleva de la foule ; les coureurs étaient partis et se la renvoyaient. Le reste du peloton suivait à distance respectueuse. Le si-riame souriait toujours et je vis la petite Vi-rik6ta sautiller aussi gaiement qu'une flamme qui va s'éteindre.
Je m'attendais à être immédiatement distancé, mais j'aurais d˚ me douter que les concurrents ne forceraient pas leur vitesse dès le début. Ils prirent une allure modérée que j'arrivais à soutenir. Nous suivîmes d'abord la rive du fleuve et derrière nous, les acclamations des femmes, des enfants et des vieux s'éloignèrent tandis que les participants chargés de crier prenaient le relais. La course se poursuivit dans le bas des gorges jusqu'à ce que la pente devienne suffisamment douce pour qu'on puisse l'escalader facilement et nous pénétr‚mes dans la forêt.
Je suis fier de pouvoir dire que je les ai accompagnés pendant un bon tiers du parcours. Sans doute gr‚ce au jÔpuri car, jamais de ma vie, je n'ai couru aussi vite que lorsque j'arrivais au niveau des sprinters de service qui nous entraînaient. Nous crois‚mes à plusieurs reprises les lièvres de l'équipe adverse qui attendaient le passage de leurs champions. Ils nous traitèrent joyeusement de " traînards ", d'" estropiés " et autres gentillesses. J'étais particulièrement visé, étant toujours en queue du peloton.
Cette course à corps perdu parmi des forêts denses et des ravins semés de pierres sur lesquelles je me tordais
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les chevilles était une expérience nouvelle pour moi, mais je m'en sortis assez honorablement tant qu'il fit jour. quand le soir commença à tomber, je dus prendre ma topaze, ce qui m'obligea à ralentir considérablement. Je vis ensuite briller devant moi les torches des éclai-reurs, mais bien s˚r aucun ne m'attendit et je me laissai distancer jusqu'à ce que je n'entendisse plus rien des clameurs du peloton.
Soudain, dans l'obscurité totale, je vis briller une lueur rougeoyante. Ces braves Tarahumara n'avaient pas complètement laissé tomber leur ami Sukur˚. Après avoir allumé sa torche, l'un d'eux avait déposé le petit pot de braises dans un endroit o˘ j'étais s˚r de le trouver. Je m'arrêtai pour préparer un feu et m'installai pour passer là le reste de la nuit. Malgré
le jîpuri, j'étais épuisé et je me serais endormi sur-le-champ si je n'avais pas eu honte en pensant à tous ceux qui étaient en train de courir.
De plus, je me serais senti profondément humilié, ainsi que tout le village qui m'avait accueilli, si les coureurs de Guacho-chî avaient découvert un homme de Guagiiey-bo en train de dormir sur le parcours. Je mangeai un peu de pinolli, bus quelques gorgées d'eau, m‚chai un peu de jîpuri et, réconforté, je passai la nuit près de mon feu, en veillant à ne pas avoir trop chaud pour ne pas m'assoupir.
Je savais que je devais voir passer deux fois les coureurs de Guacho-chî
avant que n'arrivent Tes-disora et ses compagnons. Après que les deux équipes se seraient croisées à mi-parcours, les coureurs de Guacho-chi devaient arriver du nord-est et atteindre mon feu de camp exactement au milieu de la nuit. Puis, après avoir touché Guagiiey-bo, ils feraient demi-tour et repasseraient devant moi dans la matinée. L'équipe de -Tes-disora ne serait donc pas là avant le soleil de midi. Mes premiers calculs étaient bien exacts. Vers le milieu de la nuit, je vis effectivement poindre des torches vacillantes venant du nord-est. Je voulais leur faire croire que j'étais ' un sprinter de Guagiiey-bo, aussi je me levai avant qu'ils n'apparaissent et plein d'entrain, je me mis à crier: " Traînards ! ", "
estropiés ! ". Les coureurs et les porteurs de torches ne me répondirent même pas, trop occu-686
pés à garder l'oil sur la balle qui avait perdu toute sa peinture et qui était bien entaillée. Mais les accompagnateurs me rendirent mes sarcasmes en me criant : " Alors, tu réchauffes tes vieux os ! " Je réalisai alors que ce feu devait me faire
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