Furia Azteca
petite fortune sur lui. "
Nochipa se retourna brusquement et planta ses yeux dans les miens.
" Mais tu es fou, père. Pourquoi avoir fait ça ?
- Je n'en sais rien. Et maintenant, reste tranquille, tu es bien assez lourde quand tu ne bouges pas. "
Ma fille venait d'avoir douze ans. Elle se faisait femme et commençait à
prendre des courbes gracieuses, mais heureusement, elle n'avait pas hérité
la taille de son père, sinon je n'aurais pas pu la prendre sur mes genoux.
Le prêtre de Tlaloc marmonna des prières et des invocations interminables avant de lancer la balle en l'air pour le premier jeu. Je ne vais pas vous décrire tous les coups, mes révérends, puisque vous ignorez les règles du tlachtli. Le prêtre détala du terrain comme un cafard, laissant seuls Motecuzoma et Nezahualpilli.
Les deux adversaires avaient la tête protégée par un bandeau de cuir matelassé, de grosses pièces de cuir aux coudes et aux genoux et un pagne rembourré sur lequel ils avaient enfilé une large ceinture de cuir rembourrée. Leurs vêtements étaient de couleur différente, bleu pour Nezahualpilli et vert pour Motecuzoma. Mais, même sans ce signe distinctif et sans ma topaze, j'aurais facilement reconnu les joueurs. Sous le rembourrage, on se rendait compte que le corps de Motecuzoma était ferme, souple et musclé, alors que Nezahualpilli était décharné et osseux.
Motecuzoma se déplaçait avec agilité, il rebondissait comme de l'oli ; Nezahualpilli était raide et maladroit ; il faisait peine à voir. Je sentis un coup de coude dans mon dos. C'était le Seigneur Cuitlahuac, le plus jeune frère de Motecuzoma, qui commandait toutes
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les armées des Mexica. Il me lança un sourire de défi. J'avais parié avec lui un joli tas d'or.
Motecuzoma sautait, courait, flottait, volait. Nezahualpilli clopinait, soufflait et son cr‚ne chauve luisait de sueur sous les lanières de son casque. La balle était toujours dans le camp de Motecuzoma. Nezahualpilli n'était jamais assez rapide pour l'intercepter et l'autre se trouvait toujours o˘ il fallait pour la frapper à nouveau du coude, du genou ou de la hanche. A chaque fois qu'il marquait un point, les spectateurs l'ovationnaient, sauf Nochipa, les courtisans de Nezahualpilli et moi.
Motecuzoma remporta la première manche. Il sortit du terrain en sautant comme un jeune cerf pour se livrer aux mains des masseurs et avaler une gorgée de chocolat. Et déjà, il se relevait, prêt à reprendre la partie, alors que Nezahualpilli, tout en sueur, venait à peine de s'asseoir.
" On va être pauvres, père ? " me demanda Nochipa. Cuitlahuac l'entendit et s'esclaffa tout haut, mais il ne rit plus quand la partie reprit.
Longtemps, les vieux joueurs de tlachtli ont discuté pour essayer d'expliquer ce qui s'était passé. Certains dirent que Nezahualpilli avait mis du temps à s'échauffer ; d'autres, que Motecuzoma avait trop forcé au début et qu'il s'était fatigué. On fit mille autres suppositions et moi j'avais la mienne. Je connaissais Nezahualpilli de longue date et j'avais vu trop souvent ce même pathétique vieillard boitillant, cet homme cacao.
Pendant cette partie de tlachtli, j'ai assisté, je crois, à son dernier simulacre de décrépitude, quand il abandonna la manche à Motecuzoma.
Pourtant aucune hypothèse, y compris la mienne, ne peut vraiment expliquer le miracle qui se produisit. Motecuzoma, ayant gagné la première manche, remit la balle en jeu. Il la lança en l'air avec son genou et ce fut la dernière fois qu'il la toucha.
Naturellement, tous les yeux étaient fixés sur Motecuzoma car on s'attendait à ce qu'il intercepte la balle avant même que son adversaire ait eu le temps de faire un pas. Mais, soudain, Nochipa qui, pour une raison quelconque, regardait Nezahualpilli, poussa un cri de 755
joie qui fit se lever tous les spectateurs. La balle était en train de se faufiler joyeusement dans l'anneau de marbre du mur nord, puis elle retomba de l'autre côté, loin de Nezahualpilli qui l'y avait envoyée.
Des clameurs d'allégresse s'élevèrent des gradins. Motecuzoma se précipita pour féliciter son adversaire ; les gardiens de but et les seigneurs s'agitaient en tous sens ; le prêtre de Tlaloc s'élança en dansant sur le terrain, agitant les bras, en plein délire. Je pense qu'il annonçait que c'était là une marque de faveur de la part de Tlaloc, mais le vacarme couvrait sa voix. Les spectateurs sautaient de joie en
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