Furia Azteca
pourrait me conduire vers le sud, au lointain pays des Maya. J'avais entendu dire que les médecins maya possédaient des remèdes miracles contre les maladies des yeux, même les plus désespérées. Je pourrais peut-être y trouver la guérison et revenir chez moi en triomphe, comme un invincible joueur de tlachtli, un héros de bataille ou encore comme un chevalier de l'un des trois ordres.
Cependant, l'obscurité envahissante semblait ralentir son approche et s'arrêter à une longueur de bras. Ce n'était pas vraiment le cas, mais après quelques années, les progrès du mal furent moins sensibles.
Aujourd'hui, je ne peux pas distinguer le visage de ma femme à plus d'une main de distance. Ce n'est pas bien grave, maintenant je suis vieux, mais cela avait beaucoup d'importance quand j'étais jeune.
Néanmoins, je me résignais et je m'adaptais peu à peu à mes limites.
L'étrange vieillard de Tenochtitl‚n avait eu raison de me prédire que mon tonalli serait de regarder les choses de près, et de les voir comme elles sont. Par nécessité, je ralentissais mon pas, je restais souvent immobile, je scrutais au lieu de parcourir du regard. quand les autres couraient, j'attendais. quand ils se précipitaient, je réfléchissais. J'appris à faire la différence entre les gestes utiles et la simple agitation, entre l'action et la précipitation. Là o˘, dans leur fébrilité, les autres voyaient un village, moi, je voyais ses habitants, là o˘ ils voyaient une foule, je voyais des individus, quand ils apercevaient un étranger, lui faisaient un signe et s'éloignaient en vitesse, je le regardais attentivement et ensuite, j'étais capable de dessiner chacun de ses traits, si bien que Chimali, qui était un artiste accompli, s'écriait : " «a alors, la taupe, comme tu as bien rendu la ressemblance ! "
Je me-mis à remarquer des choses qui échappent à la plupart des gens, aussi bonne soit leur vue. Vous êtes-vous rendu compte, mes Seigneurs, que le maÔs pousse plus vite la nuit que le jour, que chaque épi, ou presque, 89
contient un nombre égal de rangées de grains et qu'en trouver un avec un nombre différent est bien plus rare que de découvrir un trèfle à quatre feuilles. Avez-vous remarqué qu'il n'y a pas deux doigts - deux de vos doigts - deux doigts dans toute l'humanité, dont l'extrémité possède exactement le même réseau de lignes et de cercles ? Si vous ne me croyez pas, regardez les vôtres. Faites des comparaisons entre vous. J'attendrai.
Je sais bien que mes observations n'avaient guère de sens et d'utilité. Ce n'étaient que des détails sans importance, mais ils me permettaient d'exercer ce go˚t nouveau à regarder de près et à examiner minutieusement les choses. Cette impérieuse nécessité conjuguée avec mes dispositions à
reproduire exactement ce que je voyais, m'amenèrent à m'intéresser à
l'écriture pictographique. A Xaltoc‚n, aucune école n'enseignait ce sujet rebutant, mais je dénichais toutes les bribes d'écriture que je pouvais trouver et je les étudiais attentivement en me torturant la cervelle pour comprendre leur signification.
Les nombres étaient faciles à déchiffrer. Le coquillage symbolise le zéro, les points les unités, le doigt le cinq, les drapeaux sont les vingtaines et les petits arbres les centaines. Mais je me rappelle mon excitation le jour o˘ je parvins à démêler le sens d'un mot dessiné.
Mon père m'avait emmené avec lui, un jour qu'il était allé voir le gouverneur pour son travail et pour m'occuper, pendant qu'ils s'entretenaient dans une autre pièce, le gouverneur m'avait permis de m'asseoir dans l'entrée et de regarder le registre de ses sujets. Je cherchai d'abord la page o˘ figurait mon nom. Sept points, le symbole de la fleur et un nuage gris. Puis je me mis à tourner soigneusement les pages.
Certains noms étaient aussi faciles à reconnaître que le mien, car ils m'étaient familiers. Un peu avant le mien, figurait le nom de Chi-mali et bien s˚r, je le reconnus : trois points, une tête à bec de canard symbolisant le vent et deux griffes entrelacées représentant la fumée s'échappant d'un disque
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entouré de plumes - Yei-Ehecatl ! Pocuia-Chimali : Bouclier Fumant Trois Vent.
Les dessins qui se répétaient souvent n'étaient pas difficiles à
comprendre. Il n'y avait, après tout, que vingt noms de jours. Mais je fus soudain frappé par la répétition, qui n'était pas aussi évidente,
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