Furia Azteca
s'était passé environ douze ans avant ma naissance, mais mon père en avait conservé un très vif sou-120
venir et il en parlait souvent avec force hochements de tête attristés.
Cette année-là, les dieux envoyèrent sur le plateau l'hiver le plus rude qu'on ait jamais connu. Outre le froid mordant et le vent glacial qui tua de nombreux enfants, des vieillards en mauvaise santé, des animaux domestiques et même des animaux sauvages, pendant six jour, la neige tomba, détruis jnt toutes les récoltes de l'hiver. La nuit, on voyait dans les cieux de mystérieuses lumières : des bandes ondulantes et verticales de lumières de couleurs froides que mon père décrivait comme étant : " Les dieux parcourant les cieux d'un pas menaçant et ne laissant voir d'eux-mêmes que leurs manteaux tissés de plumes de héron blanches, vertes et bleues. "
Et ce n'était que le commencement. Le printemps mit fin au froid et apporta en même temps une chaleur accablante. Puis vint la saison des pluies, mais il ne plut pas. La sécheresse dévasta les récoltes et tua les animaux aussi s˚rement que l'avait fait la neige. Ce ne fut pas tout. Les années suivantes furent également fatales dans l'alternance du froid, du chaud et du manque d'eau. Avec le froid, les lacs gelèrent, avec la chaleur, ils s'asséchèrent. Ils devinrent si tièdes et si salés que le poisson mourut, se mit à flotter ventre en l'air et à empuantir l'atmosphère.
Ce fut ainsi pendant cinq ou six^années ; dans ma jeunesse, les vieilles gens les appelaient toujours les Temps Difficiles. Yya, ayya, cela avait d˚
être une époque terrible, en effet, car les gens du peuple, les macehualli fiers et honnêtes en étaient réduits à se vendre comme esclaves. Voyez-vous, d'autres pays, par-delà le plateau, dans les hautes terres du Sud et sur les Terres Chaudes de la côte, n'avaient pas été ravagés par cette catastrophe climatique et ils nous offraient d'acheter une part de leurs moissons abondantes, mais pas par générosité, car ils savaient que nous n'avions rien à leur proposer en échange, excepté nous-mêmes. Ces autres peuples, surtout ceux qui étaient nos inférieurs et nos ennemis, étaient trop contents d'acheter comme esclaves les " orgueilleux Mexica " et de les rabaisser encore davantage en leur proposant des prix dérisoires.
Le prix habituel était de cinq cents épis de maÔs pour 121
un m‚le en ‚ge de travailler et de quatre cents pour une femme en ‚ge de procréer. quand une famille avait un enfant à vendre, fille ou garçon, elle le donnait pour que le reste de la famille puisse manger. S'il n'y avait que des bébés dans la famille, c'est le père qui se vendait lui-même. Mais combien de temps une maisonnée peut-elle vivre sur quatre ou cinq cents épis de maÔs ? que restait-il à vendre quand on les avait mangés ? Même si les Temps Heureux revenaient tout à coup, comment une famille pouvait-elle subsister sans le travail d'un père ? De toute façon, les Temps Heureux n'arrivaient pas...
Cela se passait sous le règne de Motecuzoma Ier et pour essayer de soulager la misère de son peuple, il puisa dans son trésor personnel et dans celui de la nation et vida tous les entrepôts et les greniers de la capitale.
quand il n'y eut plus rien, que tout se fut envolé, sauf les Temps Difficiles, toujours menaçants, Motecuzoma et son Femme-Serpent convoquèrent le Conseil des Anciens et demandèrent même des avis à dès devins et à des prophètes. Je ne pourrais pas l'assurer, mais voici comment il paraît que la réunion se déroula. Un vieux sorcier chenu qui avait passé
des mois à étudier les ossements qu'on avait jetés et à consulter les livres sacrés, déclara d'un ton solennel :
" Seigneur Orateur, les dieux nous ont affamés pour nous faire comprendre qu'ils sont, eux aussi, affamés. Il n'y a pas eu de guerre depuis notre dernière incursion en pays Texcala, en l'année Neuf Maison. Depuis ce temps, nous n'avons fait aux dieux que de rares offrandes. quelques prisonniers gardés en réserve, des hors-la-loi occasionnels, et de temps à
autre, un adolescent ou une jeune fille. Les dieux réclament très clairement leur nourriture.
- Une autre guerre, dit Motecuzoma, songeur. Nos guerriers, même les plus résistants, sont trop affaiblis pour marcher contre l'ennemi, sans parler de le battre...
- C'est bien vrai, mais il y a un autre moyen d'organiser un sacrifice en masse.
- Massacrer le
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