Furia Azteca
insulaires, on fait pousser la majeure partie des légumes sur de grands chinampa qui ne cessent de s'accroître et que vous appelez jardins flottants. Chaque chinampa est un radeau fait de branches d'arbres entrelacées, amarré au bord du lac, puis recouvert de nombreuses couches de terre riche apportée de la terre ferme. Au fur et à mesure que les cultures étendent leurs racines, saison après saison, les nouvelles racines se mêlent aux anciennes et finissent par se planter dans le fond du lac et par mainte-
" nir solidement le radeau. Des jardins sont ainsi installés tout le long.
Chaque île habitée, sur le lac, Tenochtitl‚n comprise, est entourée de ce collier de chinampa. Dans les îles les plus fertiles, il est difficile de faire la distinc-143
tion entre les champs que les dieux ont fait et ceux qui sont l'ouvre de l'homme.
La vue et l'intelligence d'une taupe suffisent pour cultiver ces jardins, aussi je m'occupais de ceux qui appartenaient à notre famille et à nos voisins. Ce n'était pas un travail compliqué et j'avais beaucoup de temps libre. Gr‚ce au cadeau de Chimali, je m'appliquais à tracer des mots en simplifiant les symboles les plus compliqués, en les stylisant et en les rapetissant. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, j'avais toujours le secret espoir que cette auto-éducation me permettrait d'améliorer mon sort. Je souris maintenant en me revoyant assis sur un radeau sale, parmi le maÔs, les haricots et les chilis, environné par la puanteur des engrais d'entrailles d'animaux et de têtes de poisson, gribouillant mes signes et perdu dans mes rêves de grandeur.
Par exemple, je caressais l'espoir de devenir un marchand ambulant pour aller au pays des Maya o˘ quelque docteur-miracle me rendrait la vue, tandis que je m'enrichirais gr‚ce à un commerce avisé tout au long du chemin. J'avais plus d'un tour dans mon sac pour transformer mon petit fonds de départ en une fortune colossale, des plans ingénieux que jamais aucun marchand avant moi n'avait imaginés. Le seul ennui, comme me l'avait fait remarquer Tzitzi à qui j'avais confié certaines de mes idées, c'était que je ne possédais même pas le petit capital dont j'avais besoin pour débuter.
C'est alors qu'un après-midi, comme la journée de travail était terminée, un messager du Seigneur Héron Rouge apparut sur le seuil de la maison. Il portait un manteau de couleur neutre, ce qui signifie ni bonnes, ni mauvaises nouvelles.
Il dit poliment à mon père, " Mixpantzinco ".
Mon père lui répondit, " Ximopanolti ", en lui faisant signe d'entrer.
Le jeune homme qui avait à peu près mon ‚ge, fit un seul pas à l'intérieur de la maison et dit : " Le Tecuhtli Héron Rouge, mon maître et le vôtre, demande que votre fils Chicome-Xochitl Tlilectic-Mixtli vienne au palais. "
Mon père et ma sour en restèrent interdits, de même 144
{pie moi, sans doute, mais pas ma mère qui se mit à pleurnicher : " Yya ayya, je savais bien qu'un jour il offenserait les nobles ou les dieux ou les deux à la fois. " Elle s'arrêta pour demander au messager : " quelle bêtise Mixtli a-t-il commise ? Le Seigneur Héron Rouge n'a pas besoin de prendre la peine de le fouetter ou de le punir. On s'en chargera volontiers.
- Je n'ai pas entendu dire qu'il s'agissait de cela ", repartit le messager d'un ton agressif. " Je ne fais qu'obéir aux ordres. Il faut que je le ramène sans délai. "
Et sans délai, je le suivis, préférant ce qui m'attendait au palais à
toutes les suppositions de ma mère. J'étais curieux, bien s˚r, mais je ne voyais pas de raisons de trembler. Si cette convocation était venue plus tôt, j'aurais craint que Pactli n'ait trouvé quelque chose contre moi, mais le jeune Seigneur Joie était parti depuis deux ou trois ans dans un calmecac de Tenochtitl‚n qui n'acceptait que les héritiers des familles dirigeantes, eux-mêmes futurs dirigeants. Depuis, Pactli n'était revenu à
Xaltoc‚n que pour de courtes vacances. Il était alors venu nous rendre visite à la maison, mais toujours pendant les heures de travail alors que je n'étais pas là, aussi je ne l'avais pas revu depuis le moment o˘ nous avions si rapidement partagé Don des Dieux.
Le messager se tint respectueusement à quelques pas derrière moi tandis que je pénétrai dans la salle du trône et que je m'inclinai pour faire le geste d'embrasser la terre. A côté du Seigneur Héron Rouge se tenait un homme que je n'avais
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