Galaad et le Roi Pêcheur
côtoyant des îles étranges peuplées de bêtes merveilleuses, apercevant parfois dans les ténèbres des lumières qui brillaient au ciel, entendant aussi des musiques qui semblaient surgir de la mer. Et, un jour, sur l’heure de midi, ils virent que la nef venait d’aborder une grève, au bas d’une épaisse forêt que surplombait une grande croix dressée sur la falaise, face à la mer. Ils virent également un chevalier à l’armure blanche qui, monté très richement et menant à sa droite un cheval d’une éblouissante blancheur, sortait du bois et venait vers eux. Il salua les deux chevaliers puis dit : « Galaad, il est temps maintenant. Tu es resté assez longtemps en compagnie de ton père. Quitte cette nef, enfourche ce cheval et va où te mènera la fortune, afin d’achever les aventures du royaume de Bretagne. »
À ces mots, Galaad courut à son père, le baisa tendrement et, non sans verser d’abondantes larmes, lui dit : « Seigneur, je ne sais si je te reverrai jamais. Je te recommande à Dieu tout-puissant, notre Père à tous. Qu’il te garde à son service. » Très ému lui aussi, Lancelot serra son fils dans ses bras. « Galaad, dit-il, accomplis ton destin, car si tu es né, c’est pour mener à son terme la quête où nous nous sommes tous engagés, mais dont beaucoup ne reviendront pas ou seront écartés par la volonté de Dieu. » Puis ils se séparèrent. Galaad sauta sur le rivage, monta sur le cheval blanc et s’éloigna en compagnie du chevalier. Et quand il eut disparu dans la forêt, un grand vent se mit à souffler qui gonfla les voiles de la nef et l’éloigna du rivage.
Seul à bord, avec pour seule compagnie la jeune fille morte pour avoir, afin de sauver une lépreuse indigne, donné son sang, Lancelot erra sur la mer plusieurs jours et plusieurs nuits durant, ne sentant ni faim ni soif, mais le cœur étreint d’une grande tristesse, parce qu’il savait en lui-même qu’il ne reverrait jamais Galaad, son fils.
Un soir, vers minuit, il arriva sous les murailles d’une vaste forteresse de belle apparence, percée d’une porte qui donnait sur l’eau et semblait ouverte. En y regardant toutefois de plus près, Lancelot vit que deux lions couchés de part et d’autre en gardaient l’entrée, de façon que quiconque voulait la franchir était obligé de passer entre eux. La lune brillait dans le ciel et Lancelot se demandait, aussi perplexe qu’étonné, ce qu’il convenait de faire quand il entendit une voix qui disait clairement : « Lancelot ! Lancelot ! sors de la nef et entre en cette forteresse. Tu y découvriras une grande part de ce que tu désires tant connaître. »
Il n’hésita pas et, courant à ses armes, les revêtit rapidement, puis sauta sur le rivage et s’approcha de la porte. Mais, en voyant les deux lions se dresser d’un air menaçant, il pensa qu’il ne passerait pas sans combattre. Il porta donc la main à l’épée, prêt à se défendre, mais il n’avait pas fini de dégainer que, descendant d’en haut, une main ardente le frappa rudement au bras, l’obligeant à lâcher son arme. Et retentit encore la voix, qui disait : « Homme outrecuidant et de peu de foi ! Comment peux-tu te fier à ton bras plutôt qu’à ton créateur ? Misérable ! douterais-tu de la puissance de celui qui t’a pris à son service ? »
Lancelot fut si mortifié de ces paroles et du coup qu’il avait reçu qu’il tomba à terre, tout étourdi, sans plus savoir s’il faisait jour ou nuit. Au bout d’un instant, toutefois, il se releva, ramassa son épée, la rengaina et, après s’être signé au front, se mit en marche vers la porte. Et les lions qui se tenaient dressés sur leurs pattes arrière ne bougèrent pas et se contentèrent de le regarder. Il passa entre eux sans encombre et s’engagea dans la grande rue qui s’ouvrait au-delà des remparts, se dirigeant vers le bâtiment le plus vaste qu’il repérât. Il ne vit du reste personne. Tout le monde était couché, la nuit battant son plein. Arrivé devant la haute demeure, il en poussa la porte et pénétra dans une grande salle, qui était déserte et passa outre, bien résolu à parcourir les lieux jusqu’au moment où il trouverait quelqu’un pour lui dire en quel pays il était.
Il parvint ainsi devant une porte étroitement close et y mit la main, espérant l’ouvrir en poussant ou tirant. Mais il eut beau faire, en dépit de tous ses efforts, le vantail
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