Galaad et le Roi Pêcheur
là que d’un châtiment divin : « Il n’est pas possible, disaient-ils, qu’un homme se trouve en pareil état sans s’être rendu coupable d’un noir forfait ! Celui-ci a dû si fort offenser Dieu que Dieu l’a privé de l’usage de la parole et du mouvement. »
Du reste, parmi les gens qui se tinrent à son chevet ce jour-là et le jour suivant, les uns le prétendaient mort, et les autres en vie. « Au nom de Dieu ! protesta un sage vieillard qui se trouvait là et qui connaissait bien des choses en fait de médecine, je vous le dis en vérité, loin d’être mort, il est aussi plein de vie que le plus vigoureux de vous tous ! En conséquence, je vous engage à le bien soigner jusqu’à ce que Notre Seigneur lui rende sa santé de naguère. Nous saurons alors de sa bouche qui il est, de quel pays il vient et quelle est la cause de son état. Quant à moi, je jurerais qu’il a dû être l’un des meilleurs chevaliers de ce monde et qu’il le sera encore lorsque Dieu voudra. Bien que ses jours ne me semblent pas en danger, je ne saurais cependant affirmer combien de temps peut durer cette étrange langueur. » Chacun convint que c’était là parler sagement, et l’on veilla donc Lancelot plusieurs jours et plusieurs nuits sans discontinuer, quoique aucun son ne sortît de ses lèvres et qu’il ne remuât ni main ni pied de tout ce temps. Et ceux qui prenaient soin de lui le plaignaient, disant : « Dieu tout-puissant ! quel dommage que ce chevalier soit en une telle torture, lui qui, selon toute apparence, se distinguait par la vaillance et la beauté ! » Et de pleurer en répétant ces plaintes. Mais ils avaient beau sans cesse s’interroger, ils ne parvinrent jamais à reconnaître Lancelot, le fils du roi Ban, quoique nombre d’entre eux l’eussent rencontré à maintes reprises.
Or, un jour, vers l’heure de midi, il ouvrit les yeux et se redressa sur sa couche. Et lorsqu’il vit tant de gens l’entourer, il se mit à se lamenter. « Ah ! Dieu ! dit-il, pourquoi m’avoir éveillé si tôt ? J’étais plus heureux que je ne fus jamais. Qui donc en effet pourrait se déclarer sur terre plus favorisé que moi, ou plus sage, moi qui ai vu si ouvertement les grandes merveilles de tes mystères avant d’en être frappé ainsi ? » En entendant ces paroles, l’assistance éprouva une joie extrême et l’interrogea sur ce qu’il avait vu de si extraordinaire. « J’ai vu, répondit-il, de si grandes et heureuses merveilles que je ne saurais nullement vous les décrire. Mon cœur lui-même est incapable de les comprendre tant elles étaient hautes et insaisissables, n’étant point d’ici-bas. Par malheur, ma vision fut imparfaite. N’eussé-je été si chargé de fautes, j’aurais vu bien davantage encore. Mais Dieu a trouvé en moi tant de déloyauté qu’il m’a envoyé le châtiment que je méritais. Voilà pourquoi j’avais perdu l’usage de mes yeux, de mes oreilles et de mes membres. »
Alors, les témoins de sa singulière résurrection lui apportèrent de la nourriture et de la boisson. Il mangea et but d’abondance, en homme qui jouit de sa pleine santé. Et quand il se fut rassasié et réconforté, il demanda à ceux qui l’entouraient : « Beaux seigneurs, pouvez-vous m’expliquer comment je me trouve ici ? Je ne me souviens pas d’y être venu de mon plein gré ! » Ils lui racontèrent comment ils l’avaient trouvé, un matin, gisant devant la porte de la chambre, et comment ils l’avaient veillé des jours et des nuits, sans jamais savoir s’il était mort ou vif.
Leur récit plongea Lancelot dans de profondes réflexions, car il ignorait comment interpréter ce qui lui était arrivé. « Certes, se dit-il, j’ai obtenu de voir le saint Graal, et sa lumière m’a inondé mais, lorsque j’ai voulu l’approcher, j’ai été frappé comme de la foudre. Serais-je atteint d’une souillure que jamais je ne pourrai laver ? » Il se sentait lourd de tristesse et d’amertume, quoique, en même temps, l’irradiât une grande joie. N’avait-il pas prié Dieu de le laisser contempler une part des mystères et n’avait-il pas été exaucé ? Cela signifiait que Dieu l’avait pris en pitié. Il dit à ceux qui l’entouraient : « Maintenant que, grâce à Dieu, je me sens guéri, j’aimerais me retrouver tel qu’auparavant. » On lui apporta de l’eau et de quoi se laver. Il rasa lui-même sa barbe, en homme qui sacrifie
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