Galaad et le Roi Pêcheur
volontairement une part de lui-même, et quand il eut revêtu une robe de lin fraîche et neuve, il sembla métamorphosé. « Dieu tout-puissant ! s’écrièrent les habitants du manoir, Lancelot du Lac ! Sois le bienvenu, Lancelot, nous ne t’avions pas reconnu tant tu étais malade et changé. Sois vraiment le très bien venu parmi nous ! » Lancelot leur rendit leur salut puis demanda où il était : « Seigneur, répondirent-ils, tu es à Corbénic, en la forteresse de Pellès, notre roi. »
La nouvelle se répandit partout que le chevalier inconnu que l’on avait découvert inanimé n’était autre que Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc, et on en vint à l’annoncer au roi Pellès qui gisait sur sa couche, souffrant plus que jamais de sa blessure. Il se fit néanmoins porter jusqu’à la chambre où était Lancelot afin de lui faire bon accueil. Il lui apprit également que sa fille, la mère de Galaad, était morte. Lancelot en fut fort affligé car, malgré tout ce qui s’était passé, il avait toujours tenu la fille du Roi Pêcheur en très haute estime et amitié.
Il demeura quatre jours à Corbénic, pour le grand plaisir du roi qui désirait depuis longtemps sa compagnie. Mais, le cinquième jour, pendant le dîner, alors que le saint Graal avait recouvert la table d’une abondance inouïe de mets, survint une étrange aventure. Les convives virent en effet les portes de la grande salle se fermer sans que nul y eût mis la main, et un chevalier tout armé, monté sur un grand cheval, s’y présenta lors, criant : « Ouvrez ! ouvrez ! » Les gardes du roi Pellès refusèrent de le laisser entrer, mais il cria tant et si fort que le roi lui-même, quittant la table, se fit porter jusqu’à la fenêtre et dit à l’importun, toujours juché sur son cheval qui piaffait d’impatience : « Seigneur chevalier, tu n’entreras point. Tant que le saint Graal sera ici, nul ne pénétrera dans cette salle qui ne soit compagnon de la quête. Tu n’es pas de ceux qui doivent y avoir accès. Éloigne-toi donc et retourne en ton pays. Nous ne te voulons aucun mal, et tu n’en subiras jamais de notre part, mais il faut que tu le comprennes, ta place n’est pas parmi nous. »
En entendant ces paroles, le chevalier fut saisi d’une grande tristesse et d’une grande angoisse. Il ne savait que faire mais, voyant bien qu’il ne réussirait jamais à entrer, il fit faire demi-tour à son cheval et s’éloigna. Or le roi Pellès, le voyant si affligé, lui cria : « Seigneur chevalier ! puisque tu es venu jusqu’ici, je te prie de nous dire qui tu es. – Seigneur, répondit le chevalier, je n’ai aucune raison de te cacher mon nom : je suis Hector des Mares, chevalier de la Table Ronde. Et j’ajouterai que je suis le frère de Lancelot du Lac. – Par Dieu tout-puissant ! dit le Roi Pêcheur, je te connais bien, et je suis d’autant plus désolé et triste maintenant que j’aime tendrement ton frère et qu’il se trouve en ce moment des nôtres. »
En apprenant que Lancelot, l’homme qu’il craignait le plus au monde pour sa prouesse, était là, Hector se sentit troublé à l’extrême. Il s’écria : « Ah ! Dieu ! ma honte redouble et s’accroît sans cesse ! Jamais je n’aurais eu la hardiesse de paraître devant mon frère, puisque j’ai failli là où les vrais chevaliers ne faillirent pas. Je le sais maintenant, hélas ! Ni Gauvain ni moi n’aurons la joie de connaître les saints mystères du Graal. » Et, piquant des deux, il s’en fut par les rues de la forteresse, pleurant et se lamentant sur son sort, tandis que les habitants lui jetaient des pierres et le maudissaient d’être un mauvais chevalier, indigne de paraître devant la lumière du saint Graal.
Le roi se fit ramener à la table où Lancelot était resté, et il lui donna des nouvelles d’Hector des Mares. Or, en apprenant que son frère était venu jusque-là et s’était vu refuser l’entrée, Lancelot sentit un si vif chagrin l’envahir qu’il ne put retenir ses larmes et que tous ceux qui étaient autour de la table le virent pleurer. Aussi le roi Pellès regretta-t-il fort d’avoir parlé d’Hector à Lancelot. Il ne l’eût jamais fait s’il avait un seul instant pensé que Lancelot dût en éprouver tant de peine. Il lui dit alors : « Seigneur, pardonne-moi de t’avoir donné ces nouvelles. Je ne voulais ni t’offenser ni te causer pareil chagrin. – Je te
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