Galaad et le Roi Pêcheur
où Dieu veut. Et si tu sais tenir les promesses que tu as faites, si tu ne retombes pas dans tes erreurs et tes fautes, tu parviendras au lieu où tu désires tant aller. » Lancelot lui promit de bon cœur que désormais il ne se rendrait coupable d’aucun acte contraire aux volontés du Seigneur. « Va, maintenant, ajouta le vieillard. Ne tarde plus. Reprends ta route sur la mer. – Et toi ? demanda Lancelot. M’accompagneras-tu ? – Non, répondit l’ermite, il convient que je reste ici. » Et, sur ces paroles, il redescendit à terre.
À ce moment, le vent qui se mit à souffler gonfla les voiles de la nef et l’éloigna sur-le-champ de l’île. Lancelot vit le vieillard se diriger vers la chapelle mais, avant d’y pénétrer, se retourner et il l’entendit dire : « Lancelot, Lancelot, ne m’oublie pas, car je suis un pécheur, moi aussi. Sous peu, tu verras Galaad. Alors, je te prie, parle-lui de moi et dis-lui de demander à Dieu qu’en sa douce pitié il ait compassion de moi. » Telles furent les dernières paroles du solitaire. Toujours poussée par un vent fort, la nef fendait les flots rapidement, mais sans qu’aucune vague vînt troubler sa course. Et Lancelot se mit à genoux et, tout heureux de savoir qu’il verrait bientôt Galaad, conjura ardemment Dieu de le conduire et de lui permettre, en quelque lieu que ce fût, d’approcher les grands mystères du saint Graal.
Il navigua ainsi plusieurs jours et plusieurs nuits durant, n’éprouvant ni faim ni soif tout comme s’il eût été nourri et abreuvé par la seule présence de la jeune morte. Il ne ressentait nul chagrin, nulle tristesse et de la sorte recouvra peu à peu sa confiance en Dieu ainsi qu’en lui-même. Et, une nuit, la nef aborda un rivage au-dessus duquel se discernait la masse d’une sombre forêt. Tendant l’oreille, Lancelot devina qu’un cavalier survenait au galop à travers les bois. Il le vit mettre pied à terre en face de la nef, desseller son cheval et, le laissant vaguer librement, se diriger vers le bord de l’eau. Il le vit encore se signer et sauter à bord, armé comme il l’était, sa lance au poing et son bouclier à son col.
Lancelot n’esquissa aucun geste pour s’armer lui-même, car il pensa immédiatement que la prédiction du vieillard de l’île était en train de s’accomplir et que c’était Galaad lui-même qui venait ainsi de le rejoindre. Une fois sur la nef, le nouveau venu dit : « Seigneur, je te souhaite bonne fortune. Mais, si tu le veux et si tu le peux, dis-moi qui tu es, car j’ai hâte de le savoir. » Lancelot se nomma. « Ah ! seigneur ! reprit le chevalier, béni sois-tu, vraiment, car je désirais ardemment te voir et t’avoir par-dessus tout autre pour compagnon. Ce n’est du reste que justice, puisque tu es mon origine. » À ces mots, il retira son heaume, tandis que Lancelot demandait : « Est-ce toi, Galaad ? – Oui, mon père, c’est moi, en vérité. » Ils s’embrassèrent, se firent le plus bel accueil du monde et manifestèrent leur joie d’être enfin réunis.
Puis, chacun conta à l’autre ses aventures depuis leur départ de la cour, et ils devisèrent ainsi jusqu’au lever du soleil. Alors, dans le jour beau et clair, ils se virent et se reconnurent, et merveilleuse fut leur joie. Cependant, Galaad, remarquant le pavillon, y entra et contempla un instant la morte avant de demander à Lancelot s’il savait la vérité sur elle. « Oui, répondit-il, je la sais. La lettre qui se trouve à son chevet m’a tout révélé. Mais, pour l’amour de Dieu, mon fils, dis-moi ce qu’il en est de l’Épée aux Étranges Renges. – Oui, mon père, répondit Galaad, je vais te le dire. Regarde d’abord cette épée. » Il la retira du fourreau et la lui tendit. Lancelot la prit par la poignée et se mit à en baiser le pommeau, la lame, le fourreau lui-même, avant de la rendre à Galaad, en le priant de lui conter comment il l’avait trouvée. Galaad lui narra l’histoire de la nef fabriquée jadis sur les ordres de la femme du sage Salomon, l’histoire des trois morceaux de bois provenant de l’arbre planté par Ève, la première mère, et l’histoire des trois couleurs, blanche, verte et vermeille. Et Lancelot finit par avouer que, certes, jamais chevalier n’avait connu plus belle aventure.
Ils naviguèrent ainsi pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, ne sentant ni faim, ni soif et le cœur empli de joie,
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