Galaad et le Roi Pêcheur
dirigea vers elle et, non sans s’être signé une nouvelle fois, bondit sur le pont. Or, à peine à bord, il crut respirer tous les meilleurs parfums du monde. En lui-même, il remercia Dieu de lui avoir permis de quitter le pays désolé qu’il venait de traverser et, se couchant, dormit toute la nuit d’un sommeil si paisible qu’il lui semblait n’être plus le même homme. Et quoiqu’il n’eût rien bu ni mangé depuis fort longtemps, ni la faim ni la soif ne le tourmentaient.
Au matin, quand il s’éveilla, il faisait grand jour et un soleil radieux. Voyant qu’un pavillon se dressait au milieu de la nef, il y entra et y découvrit un spectacle qui l’abasourdit : il y avait là, en effet, un lit magnifique sur lequel gisait une jeune fille morte dont le visage était découvert. Après s’être signé, il s’approcha, curieux d’apprendre qui était l’inconnue et de quel lignage. Il finit par découvrir sous la tête de la défunte une lettre qu’il déplia. Et il lut ceci : « Cette jeune fille fut la sœur de Perceval le Gallois. Elle demeura vierge d’intention et de fait sa vie durant. C’est elle qui changea le baudrier de l’Épée aux Étranges Renges que porte aujourd’hui Galaad, fils de Lancelot du Lac. » La lettre racontait ensuite comment et pourquoi était morte la jeune fille, et comment Perceval, Bohort et Galaad, après l’avoir fait embaumer, l’avaient placée dans cette nef par ordre d’une voix divine. Lancelot en fut si stupéfait qu’il resta longtemps immobile dans le pavillon. Mais au trouble qui bouleversait son cœur, finit par succéder la joie, une joie qui l’envahit et dissipa toute la tristesse et tout le désespoir qui s’étaient accumulés en lui ces derniers jours. Tout heureux de savoir réunis Bohort, Galaad et Perceval, il éprouvait aussi une immense fierté que son fils possédât une épée merveilleuse. Et il souhaita ardemment de le rencontrer avant la fin de la quête, afin de lui parler et de lui témoigner son affection.
Il en était là de ses méditations quand il s’aperçut que la nef venait d’aborder une petite île sur le rivage de laquelle se dressait une chapelle. Un vieillard tout chenu se tenait sur le seuil. Lancelot le salua du plus loin qu’il put, et le vieillard lui rendit son salut d’une voix plus vigoureuse que Lancelot ne s’y attendait. Alors, le vieillard se leva, s’approcha du bateau et, s’asseyant sur une motte de terre, demanda à Lancelot quelle aventure l’avait amené en ce lieu. Lancelot qui raconta ce qui lui était arrivé et comment le destin l’avait fait aborder en cette île qu’il ne croyait pas connaître.
Quand le vieillard apprit qu’il se trouvait en présence de Lancelot du Lac, il témoigna sa surprise de le voir à bord de ce navire et l’interrogea sur la jeune fille morte qui gisait sous le pavillon. « Seigneur, lui dit Lancelot, viens voir toi-même, je t’en prie. » Il aida le vieillard à monter, le mena au chevet du lit magnifique et lui fit lire la lettre d’un bout à l’autre. Mais lorsqu’il découvrit que celle-ci parlait de l’Épée aux Étranges Renges, le solitaire s’écria : « Ah ! Lancelot ! je ne croyais pas vivre assez longtemps pour apprendre qu’enfin cette épée se trouve en possession de celui auquel elle était destinée. Mais tu es le plus malchanceux des hommes de ce siècle, pour n’avoir pas été du nombre de ceux qui ont vécu ces aventures merveilleuses. De toute évidence, ce sont ces trois hommes qu’a choisis Dieu pour achever la quête : ils sont les vrais chevaliers de Dieu, plus vrais que tu ne le fus jamais. Cependant, quelles que soient tes fautes passées, Lancelot, je crois que désormais, si tu voulais bien t’amender et mener une vie exempte de toute noirceur, tu pourrais obtenir la grâce du Seigneur. Mais laissons cela. Raconte-moi plutôt comment tu es entré dans cette nef. »
Lancelot lui fit le récit détaillé des aventures successives qui l’avaient mené jusqu’au rivage de la mer, et il lui parla de la voix qui l’avait appelé durant son sommeil. Le vieillard se mit à pleurer d’attendrissement. « Ah ! Lancelot ! sache que Notre Seigneur t’a témoigné son infinie bonté en te délivrant du pays maudit où tu t’étais égaré et en te donnant pour compagne de voyage cette jeune fille si pure et si sainte. Elle te protégera durant la navigation que tu as entreprise, et elle te mènera
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