Galaad et le Roi Pêcheur
protéger de ta méchanceté. Par Dieu tout-puissant, je te ferai payer, et très cher, les forfaits dont tu t’es rendu coupable ! » Brudan éclata d’un rire grossier. « Tu n’es sûrement pas assez brave pour t’en prendre à moi ! – Eh bien, nous allons le savoir ! »
Bohort recula pour mieux prendre son élan et, se précipitant sur son adversaire de toute la vitesse de son cheval, il le frappa si fort qu’il lui transperça son bouclier, troua son haubert, puis lui enfonça la lance dans le corps avec une telle rage qu’il renversa tout ensemble la monture et le cavalier, lequel, dans sa chute, se cassa les jambes. Bohort bondit à terre et, l’épée au poing, sans même écouter les gémissements du vaincu, lui enleva la coiffe, délaça le heaume et trancha la tête. Alors, saisissant ce chef sanglant par les cheveux, il le tendit à la jeune fille qui avait regardé le combat avec autant d’effroi d’abord qu’ensuite de soulagement. « Tiens, lui dit-il, je t’en fais présent. Et puisque tu dois aller chez le roi Arthur, je te prierai de le lui apporter. Tu lui diras que Bohort de Gaunes te l’a offert et lui raconteras ce que prétendait faire de toi ce maudit Brudan des Îles. Enfin, tu n’oublieras pas d’ajouter qu’il était le meurtrier de notre bon compagnon Méliot, neveu de Gauvain. » Cela dit, il chercha du regard le nain mais ne le put découvrir. Sans doute s’était-il caché dès le début de la querelle, ou s’était-il enfui quand il avait vu son maître vaincu. Bohort jugea inutile de le poursuivre et, après avoir recommandé à Dieu la jeune fille qu’il venait de délivrer, il retourna au Château Périlleux où la dame l’attendait avec impatience.
En apprenant comment s’était déroulé le combat et comment il avait vengé la mort de Méliot, le chagrin de celle-ci s’atténua un peu au profit de la gratitude et, comme elle offrait de grand cœur l’hospitalité, Bohort, qui commençait à ployer sous la fatigue, accepta volontiers. Néanmoins, fidèle à sa promesse, il refusa toute autre nourriture que du pain, toute autre boisson que de l’eau, et il coucha, cette nuit-là comme les précédentes, sur le plancher de la chambre où on lui avait préparé un bon lit. Le lendemain matin, il vint prendre congé de la dame du Château Périlleux : « Bohort, lui dit-elle, je sais ce que tu cherches. Méliot et Lancelot du Lac partageaient ta quête, mais l’un est mort et je ne sais ce qu’est devenu l’autre. Prends le chemin qui se trouve à gauche de la forteresse ; lorsque tu rencontreras une rivière, suis-la jusqu’à l’endroit où elle s’élargit. Là, tu découvriras ce que tu cherches. » Bohort remercia la dame, la recommanda à Dieu et, faisant prendre de l’élan à son cheval, s’éloigna au grand galop dans la direction qu’elle lui avait indiquée.
Pour Galaad, après qu’il se fut séparé de son père et eut suivi le chevalier blanc dans la forêt, il ne tarda guère à perdre de vue celui-ci. Et il eut beau appeler, il eut beau battre les alentours, il n’en trouva nulle trace. Laissé seul en pleine forêt, il se guida vaille que vaille à la lumière de la lune qui filtrait au travers des frondaisons. Il chevaucha ainsi jusqu’au jour, et le soleil était déjà haut quand il rencontra un ermite qui sortait de sa chapelle et qui, au seul aspect de la croix vermeille qui écartelait le bouclier, prit la parole en ces termes : « Chevalier, je vois que tu es chrétien, et voilà bien longtemps que je n’en avais vu un seul. Car le roi du Château des Ombres, notre suzerain, a renié Dieu et la Vierge Marie pour adorer des idoles sanguinaires, et comme il n’hésite pas à tuer ceux qui le défient, nous autres ermites n’osons plus guère demeurer dans ces parages.
— Par Dieu tout-puissant ! s’écria Galaad, il ferait beau voir que vous fussiez obligés de quitter la forêt que vous avez choisie pour y vivre et y prier. Je jure qu’avec l’aide de Dieu d’abord, et la mienne ensuite, vous y resterez. Combien êtes-vous d’ermites ? – Seigneur chevalier, onze de mes semblables m’attendent dans un bois, non loin d’ici, pour débattre si nous devons demeurer en ces lieux ou partir nous réfugier dans les domaines du roi Arthur. Nous le tenons pour un bon roi qui accueille volontiers chez lui les chrétiens que l’on persécute dans les autres royaumes. – C’est exact, dit Galaad,
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