Galaad et le Roi Pêcheur
l’avait rendu haineux pour les hommes comme pour les femmes, dès lors que les distinguaient sens de l’honneur, vertu, mérite. Et sa plus grande jouissance, il la prenait à les priver de leurs joies et de leurs plaisirs.
« Après avoir sévi dans divers pays, Klingsor aborda un jour cette terre. En ce temps-là régnait à Kaersefin un roi du nom d’Irawt. Il accueillit Klingsor avec courtoisie et ce dernier le servit fidèlement pendant de nombreux mois. Mais Irawt s’était aperçu que Klingsor possédait des pouvoirs magiques et, redoutant qu’il ne les tournât contre son propre trône, lui fit don de la colline où nous sommes, et où se dressait déjà une belle forteresse. Par la même occasion, il lui confia le gouvernement du pays à huit milles à la ronde. Par sa magie, Klingsor aménagea si bien cette forteresse qu’il en fit un endroit inaccessible et terrifiant, et il sut également réduire en esclavage ses anciens vassaux. Ils étaient contraints à lui obéir aveuglément, car ils savaient bien qu’à la moindre révolte, la moindre obstruction, Klingsor aurait fait agir les esprits malins qui se trouvent entre terre et ciel et dont il savait utiliser les pouvoirs.
« Voilà, Perceval. Je t’ai dit l’essentiel au sujet de l’Ermite Noir. Si tu l’as terrassé, c’est que les esprits malins ne pouvaient intervenir contre un protégé de Dieu. Klingsor avait fait creuser cette fosse sous la grande salle pour y faire jeter ses victimes car, disait-il, les âmes des gens qu’il tuait ou faisait tuer devenaient des esprits à son service. Il était donc juste de le précipiter dans l’abîme qu’il avait lui-même imaginé. Et tout ce que possédait l’Ermite Noir t’appartient désormais, car, de son vivant, il avait lui-même proclamé publiquement que quiconque sortirait vivant de cette aventure deviendrait le maître unique de sa fortune. Les gens qui habitent cette terre, chevaliers, sergents, vilains et artisans, ainsi que les femmes, qu’elles soient de haut rang ou simples servantes, tous n’obéiront désormais qu’à toi. Mais tu découvriras aussi dans cette forteresse des gens qui ne sont pas chrétiens et que Klingsor a faits prisonniers dans des pays lointains sans qu’ils fussent coupables d’aucune faute. Permets donc à ces captifs de retourner auprès de ceux que navre leur absence. – J’y consens volontiers », dit Perceval {62} .
Il réunit alors tous les chevaliers qui se trouvaient dans la forteresse et leur ordonna d’héberger désormais et de traiter le mieux possible les chevaliers de passage. Ils en firent le solennel serment devant lui et devant Onnen. Puis il ordonna de libérer les prisonniers et de les laisser aller, sans nulle condition, où bon leur semblerait. Enfin, après avoir pris les dernières dispositions qui convenaient, il recommanda tout le monde à Dieu et, remontant en selle, sortit de la forteresse. Sa cousine l’accompagna jusqu’à une rivière qui coulait entre deux collines. « Ici, je dois te quitter, Perceval, lui dit-elle. À présent, plus rien ne t’empêchera d’aller ton chemin. Et sois-en sûr, tu retrouveras bientôt tes compagnons Bohort et Galaad. » Ayant prononcé ces paroles, celle qui avait été la Demoiselle Chauve fit faire demi-tour à sa mule et s’enfonça dans le profond des bois.
Pendant ce temps, Bohort errait par landes et vallées, désespéré de n’avoir pas sauvé le chevalier blessé que poursuivaient un autre chevalier et un nain, et qui les avait implorés, Galaad, Perceval et lui. Certes, il n’avait rien épargné pour ce faire, mais il était arrivé trop tard : il avait découvert le chevalier mort, près d’une source, et dû se contenter de le faire inhumer dans le cimetière qui se trouvait près d’un ermitage. Depuis lors, il traquait sans répit le chevalier et le nain, s’informant partout de leur passage et de leur identité, mais sans trouver nulle part personne capable de le renseigner. Et il était tout chagrin et honteux d’avoir failli à la mission qu’il s’était assignée.
Or, un jour, au cours de son errance, Bohort parvint au Château Périlleux dont la dame avait recueilli, soigné puis guéri, avec l’aide de Lancelot, le preux Méliot. Bohort entra dans la cour de la forteresse et, en descendant de cheval, vit accourir une jeune femme tout éplorée, qui n’avait même pas la force de parler tant la bouleversait l’émotion. Les larmes
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