Galaad et le Roi Pêcheur
du monde, et quiconque t’appelait ainsi disait la vérité. Mais à présent, en ce jour, on tiendrait pour menteur qui l’oserait prétendre, car il existe un chevalier qui t’est supérieur. La preuve en est cette épée que tu n’as pas osé toucher. Je viens te dire cela de la part de ma maîtresse, la Dame du Lac, afin que tu saches ce qu’il en est et que tu n’aies pas la prétention de te croire encore le meilleur chevalier du monde. – Dieu m’en garde ! s’exclama Lancelot. L’aventure que je viens de voir m’a ôté cette idée pour jamais ! »
Se retournant alors vers le roi, la jeune femme lui dit : « Roi Arthur, sache qu’aujourd’hui adviendra le plus grand honneur qui soit jamais advenu à un chevalier de Bretagne. Cependant, je dois te prévenir : il écherra non à toi, mais à un autre. Sais-tu de quoi je parle ? Du saint Graal. Il apparaîtra ce soir même au milieu de tous tes compagnons dans la grande salle de Kamaalot. Et tous ceux qui se trouveront à la Table Ronde seront rassasiés grâce à la divine vertu du saint Graal. Mais sache également que jamais plus tel honneur ni tel bonheur ne se renouvelleront en ta faveur. » À peine eut-elle prononcé ces mots qu’elle éperonna son palefroi, lequel bondit en avant et se mit à galoper vers la forêt sans qu’aucun des chevaliers ait eu le temps de réagir. Ils auraient pourtant d’autant plus souhaité en savoir davantage sur ce message que seul Lancelot avait reconnu Saraïde, tandis qu’eux-mêmes se demandaient avec étonnement qui elle pouvait être et d’où elle pouvait venir.
Quand elle eut disparu, Arthur dit aux compagnons : « Seigneurs, nous venons d’avoir un signe évident que vous entrerez prochainement dans la quête du saint Graal. Et, comme je sais que je ne vous reverrai jamais tous réunis comme vous l’êtes aujourd’hui, je veux que commence en cette prairie un tournoi si animé qu’après notre mort, nos descendants s’en souviennent pendant maintes et maintes générations. » Tous approuvèrent ces sages propos, et chacun rentra dans la forteresse pour s’y faire armer. Le roi, lui, était à la fois triste et joyeux : il n’avait décidé ce tournoi que pour voir Galaad à l’œuvre, car il savait bien en lui-même que, celui-ci parti, il ne le reverrait jamais.
Lorsque tout le monde fut rassemblé dans la prairie, sous les remparts, Galaad, à la prière du roi et de la reine, endossa son haubert et coiffa son heaume. Du reste, quoi qu’on pût lui dire, il refusa son bouclier. Gauvain, tout joyeux, déclara qu’il affronterait Galaad très courtoisement et, de même, Yvain et Bohort de Gaunes déclarèrent qu’ils se tiendraient pour honorés de rompre des lances avec leur nouveau compagnon. Quant à la reine et aux dames de la cour, elles se hâtèrent de prendre place sur les remparts afin de ne perdre rien des prouesses qui s’accompliraient.
Les joutes commencèrent et, si brillants que fussent ses adversaires, Galaad se mit à briser des lances si rudement qu’en peu de temps il n’était plus personne, homme ou femme, qui ne le tînt pour le meilleur de tous. Ceux qui ne l’avaient jamais vu proclamaient qu’il commençait magnifiquement sa carrière de chevalier et que ses seuls exploits du jour prouvaient sans conteste qu’il surmonterait en prouesses les meilleurs compagnons du roi. Quand le tournoi fut sur le point de se terminer, de tous les compagnons de la Table Ronde qui portaient les armes, il n’en restait que deux qu’il n’eût pas abattus : Lancelot du Lac et Perceval le Gallois.
Le déclin du jour s’esquissait quand le roi décida de clore les joutes et de donner le signal du départ. Il fit délacer le heaume de Galaad et le donna à porter à Bohort. Puis il mena Galaad, le visage découvert, par la grande rue de la forteresse de Kamaalot, de façon que tout le monde pût le voir et l’admirer à loisir. Après l’avoir longuement regardé, tandis qu’il passait non loin de l’endroit où elle se tenait, la reine ne put s’empêcher de murmurer : « Ah ! Dieu ! il est vraiment le fils de Lancelot ! Je n’ai jamais vu si parfaite ressemblance entre deux hommes ! Et non seulement ils se ressemblent, mais ils sont de la même trempe et capables tous deux d’accomplir des prouesses inouïes. Il est vraiment digne de son lignage, celui qui manifeste tant de chevalerie et tant de persévérance ! » L’une de ses suivantes,
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