Galaad et le Roi Pêcheur
l’autel, ils l’enveloppèrent d’un riche drap de soie verte ouvré à motifs d’échiquier. Le vieillard plaça une croix d’or à la tête du mort, alluma deux cierges en deux chandeliers d’or fin qu’il prit dans un coffre et déposa ceux-ci de part et d’autre de la croix. Cela fait, Perceval et lui retournèrent à l’autel et l’ornèrent du mieux qu’ils purent. Enfin, le vieillard pria Perceval de sonner la cloche, et deux moines entrèrent là-dessus, qui apportant une étole et une chasuble, qui un calice d’argent pur. Le vieillard s’empara de l’un, revêtit les autres et s’avança vers l’autel. Durant l’office, qu’il suivit avec autant d’humilité que de dévotion, Perceval pria pour le salut du mort inconnu. Enfin, le service achevé, le vieux prêtre conjura le Ciel d’accorder le repos éternel à l’âme du malheureux qui gisait sous le drap de soie, et les moines emportèrent celui-ci jusqu’en un cimetière qu’entourait une rangée de charmes majestueux à chacun desquels étaient suspendus les boucliers de ceux qu’avaient tués les diables nocturnes de la chapelle.
En voyant les arbres et les boucliers, Perceval s’émerveilla fort, faute de comprendre, mais il ne posa aucune question, préférant laisser le prêtre ensevelir le mort. Or, les moines s’arrêtèrent sous un arbre fort à l’écart et auquel n’était suspendu nul bouclier, et c’est à son pied qu’ils déposèrent le défunt. Tout contre le tronc se dressait un magnifique caveau de marbre. Ils l’aspergèrent d’eau bénite puis y descendirent le corps, qu’ils recouvrirent d’une large et forte dalle de même pierre. Enfin, s’en étant retournés, ils revinrent peu d’instants après avec le bouclier du mort et le suspendirent à une branche haute. Alors seulement, Perceval interrogea le vieillard sur ce que signifiait tout cela.
« Beau doux ami, répondit le prêtre, puisque tu tiens à le savoir, voici, sans te rien cacher, de quoi il retourne. Dans ce vaste cimetière sont enterrés, sous les arbres que tu vois, toutes les victimes des monstres auxquels tu as résisté. Or, comme ils étaient de preux et nobles chevaliers, ils gisent dans des caveaux de marbre tandis que leurs boucliers ornent les arbres qui les surplombent. C’est la reine Blanchemore qui créa ce lieu. Elle repose ici, sous cet arbre-ci. Elle y fut enterrée la première, et ce cimetière fut inauguré par un tel malheur que, depuis lors, nul jour ne s’est écoulé sans qu’un chevalier périsse de la main des démons. Or, si Blanchemore fut la première, le dernier sera celui-ci, car, grâce à toi, plus jamais les diables ne se manifesteront dans cette chapelle. Tu les en as écartés pour jamais, la voici de nouveau un endroit béni.
— Par Dieu tout-puissant ! s’écria Perceval, j’entends là merveilles ! Mais, s’il te plaît, d’où vous viennent tous ces tombeaux si vastes et si beaux ? – Je te le dirai sans détour : depuis que la reine a été tuée, il ne s’est passé de jour où nous n’ayons trouvé sous un arbre un nouveau tombeau sur lequel ne fût inscrit le nom de la victime de la nuit suivante. » Perceval s’étonna si fort du prodige, qu’avant de quitter le cimetière il demanda au vieillard la permission de parcourir les tombes afin d’y lire le nom des différents défunts. « Certes, je te l’accorde, répondit le vieux prêtre, mais il te faudra la journée pour cela. »
Perceval s’en fut néanmoins de tombe en tombe, déchiffrant une à une les inscriptions. Et s’il découvrit là des noms qu’il connaissait, du moins eut-il la joie qu’aucun n’appartînt à un chevalier de la Table Ronde. Après cela, il regagna la chapelle et, comme il y entrait, le vieillard et les deux moines vinrent à sa rencontre et lui dirent : « Seigneur, suis-nous, nous t’hébergerons cette nuit pour l’amour de la sainte Trinité. Le jour déjà touche à sa fin, et tu ne trouveras aucune autre maison qui puisse t’accueillir. – Bien volontiers, répondit Perceval, mais il me faut d’abord aller quérir mon cheval et le ramener par ici.
— Ne t’inquiète pas de cela, dit le vieillard, ton cheval a déjà chez nous de quoi boire et de quoi manger : deux boisseaux d’orge, du foin et une belle litière de paille qui lui monte au ventre. » Perceval suivit donc les moines et entra dans la maison, mené par le vieux prêtre qui le tenait par la main et
Weitere Kostenlose Bücher