Galaad et le Roi Pêcheur
suis connu de la terre entière, et toi-même, à ce qu’il me semble, tu as entendu parler de moi. Car tu portes à ton flanc gauche une épée que je forgeai jadis moi-même. – Certes, répondis-je, mais elle est brisée, et l’on m’a assuré que toi seul serais capable de la ressouder. – Il se peut, en effet », répondit Govannon.
« Je dégainai alors et lui tendis les deux morceaux de l’épée. « C’est bien cela, dit-il. Attends-moi un instant. » Il suivit un sentier qui menait jusqu’au lac tout proche. Je l’entendis marteler la lame avec son maillet, mais il ne tarda guère à revenir, avec en main l’épée, tout aussi droite et unie que si elle n’avait jamais été brisée. Il me la tendit en disant : « Cette épée ne doit pas être ressoudée une seconde fois, sache-le, sans quoi je devrais mourir pour te la rendre entière. Et si tu l’as brisée, c’est pour avoir donné libre cours à ta fureur, au lieu d’en user comme tu devais. Promets-moi de ne plus la tirer jamais qu’à la dernière nécessité, car il n’est roi ni empereur en ce monde qui ait possédé sa pareille. »
« Après que j’eus fait au forgeron la promesse qu’il demandait, il m’affirma que j’accomplirais des prouesses avec cette épée si je savais me montrer compatissant envers les bons mais impitoyable envers les serviteurs de l’Ennemi. Tout joyeux, je remerciai Govannon du fond du cœur et, reprenant mon épée, cette épée que m’avait donnée le Roi Pêcheur de la part de la Dame du Lac, je l’examinai attentivement. Elle ne présentait pas plus de défaut que si elle n’avait jamais été brisée. Alors, je la remis au fourreau, pris congé du forgeron en le recommandant à Dieu et repris ma route vers la forteresse de mon amie Blodeuwen. Là, certes, ne me faillirent point les occasions d’utiliser mon épée au service du droit et de la justice, et, après avoir délivré Blodeuwen de son ennemi, je revins à la cour du roi Arthur. Et c’est de là, qu’après l’arrivée du Bon Chevalier et les merveilles dont il nous rendit témoins, je repartis en quête des grands secrets du saint Graal et de la Lance qui saigne.
— Fort bien, dit le faucheur. Je vois que tu t’es assagi depuis notre dernière rencontre. Mais, Perceval, méfie-toi. Ton étourderie pourrait te valoir bien des mésaventures. Il n’est pas bon de s’attaquer à qui peut prendre l’aspect d’un oiseau. Puis souviens-toi que tu es sous le coup d’une malédiction. En l’occurrence, je ne peux rien faire pour toi. – Que veux-tu dire ? demanda Perceval. – Rien de précis, répondit le faucheur, sinon que tu n’es à l’abri d’aucun maléfice. » Sur cet avertissement, le faucheur lâcha le mors du cheval de Perceval et s’engagea dans la forêt. Perceval le regarda disparaître et demeura longuement songeur {15} .
Il finit cependant par se remettre en route, et, le bouclier au col, la lance au poing, chevaucha le reste de la journée sans rencontrer âme qui vive. Au sortir d’une forêt épaisse, il s’aperçut que le ciel était devenu très sombre. Pourtant, il le savait, ce n’était pas la fin du jour. Or, soudain, retentit le tonnerre, tandis que des éclairs zébraient en grand nombre les nues. Des tourbillons de poussière virevoltaient autour de lui, et il se sentait sur le point d’être emporté jusqu’aux extrémités du monde par la force du vent. Les branches qui se brisaient tout autour de lui l’emplissaient d’une angoisse d’autant plus vive qu’aux environs ne s’apercevaient ni tour, ni forteresse, ni refuge aucun. Et il se demandait comment affronter la tourmente quand, tout en dirigeant vaille que vaille son cheval le long de sentiers que noyaient les broussailles, il devina la silhouette d’une chapelle, vers laquelle il s’élança au triple galop. La porte était ouverte. Il entra.
Quoiqu’il eût le visage ruisselant au point d’être presque aveuglé, la sensation d’asile suffit à lui réjouir le cœur. Il mit pied à terre et, en examinant les lieux, s’aperçut qu’en dessous de l’autel gisait un chevalier mort, auprès duquel brûlait un cierge. Mais un coup de vent plus violent éteignit la flamme, et Perceval se retrouva plongé dans la plus profonde obscurité. Il se rappela alors que semblable chose lui était déjà arrivée dans une chapelle et qu’une main monstrueuse avait à l’époque soufflé la lumière. Il s’apprêta
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