Galaad et le Roi Pêcheur
te cacherai rien, répondit le vieil homme. Tu es Perceval le Gallois, et on t’appelait autrefois le Fils de la Veuve Dame. Tu as quitté le manoir de ta mère sans même te retourner, et tu ignorais que le chagrin causé par ton départ avait tué celle-ci. Tu es allé à la cour du roi Arthur te faire armer chevalier. Tu t’es complu dans d’innombrables aventures qui t’ont souvent fait partager le lit de femmes que tu prétendais aimer plus que toutes les autres. Tu es allé à la cour du Roi Pêcheur et n’y as posé aucune question au sujet de la coupe d’émeraude d’où émane une magnifique lumière et de la Lance qui saigne. Et, depuis, en vain cherches-tu à retrouver le chemin qui mène à la forteresse du Roi Pêcheur. Tu vois, je te connais bien, Perceval, fils du comte Evrawc !
— Certes, répondit Perceval, tu me parais bien renseigné à mon sujet. Mais moi, je ne te connais pas. – Tu me connais pourtant un peu. Puisque tu m’en conjures au nom de Dieu, je ne te cacherai rien. Tu as déjà entendu ma voix dans la forêt. Tu m’as vu une fois sous l’apparence d’un enfant, sur un arbre, et une autre fois sous l’apparence d’un bûcheron. – Merlin ! s’écria Perceval, c’est donc toi ! – Je vois que tu ne m’as pas oublié, dit le faucheur en riant. Mais, Perceval, la dernière fois que je t’ai vu, tu étais fort embarrassé. Ton épée était brisée, et tu savais que seul Govannon, le forgeron du lac Cotoatre, serait capable de la ressouder. Or, il me semble qu’aujourd’hui ton épée est de nouveau entière. Comment t’y es-tu pris pour dénicher le forgeron ? Tu ignorais où se trouvait le lac Cotoatre. »
Perceval soupira : « J’ai suivi ton conseil. Je suis revenu chez la reine dont j’ignore encore le nom et à qui m’avait présenté ma cousine, Onenn, la Demoiselle Chauve. Tu m’avais laissé entendre qu’elle me conduirait au lac Cotoatre. Je suis donc rentré dans son pavillon mais, en réponse à ma question sur le lac Cotoatre, elle m’a avoué ne savoir en quel lieu de la terre il se trouvait. J’ai passé la nuit aux côtés de la reine. Certes, je lui avais dit que je l’aimais plus que toute autre au monde, mais tu sais bien que ce n’était pas vrai, que je me trouvais sous le coup d’un charme, d’une illusion.
« À mon réveil, le lendemain matin, une jeune fille se tenait dans le pavillon. Et cette jeune fille, dès qu’elle me vit ouvrir les yeux, me dit : « Perceval, je suis venue de bien loin te chercher. C’est ton amie Blodeuwen qui m’envoie te prier de la secourir, car Aridès d’Escavalon l’attaque chaque jour et détruit peu à peu ses domaines. Si tu ne te hâtes, tu arriveras trop tard car, à moins de trouver un défenseur d’ici là, force lui sera de se rendre à midi, demain. » Quand j’eus entendu ces paroles, je me précipitai sur mes armes, sans oublier mon épée brisée. On amena mon cheval et la reine me recommanda à Dieu en me donnant congé.
« Je me mis donc en route, accompagné de la jeune fille que m’avait envoyée Blodeuwen. Pour couper au plus court, nous prîmes un chemin de traverse, mais celui-ci était en fort mauvais état, boueux, défoncé, jonché de cailloux. En y galopant, je sentis que mon cheval boitait et me demandai à quoi l’imputer. Je descendis par l’étrier gauche et m’aperçus que mon cheval s’était enfoncé un clou dans le pied. Et déjà je me désolais quand la jeune fille me dit : « Ne crains rien, Perceval. Dieu aide qui défend sa cause. Je sais que, non loin d’ici, habite un forgeron qui retirera ce clou avec tant d’adresse que ton cheval en perdra jusqu’au souvenir. Remonte en selle, je vais te conduire d’une traite à la demeure du forgeron. » Je fus bien soulagé d’entendre ces paroles, mais, ne voulant pas risquer de blesser davantage mon cheval en le réenfourchant, je suivis à pied ma compagne. Le forgeron habitait en effet très près de là, au bord d’un lac. Excellent ouvrier, il ne craignait pas le travail et, à peine eut-il vu le clou qui blessait mon cheval qu’il l’eut arraché. « Voilà qui est fait, me dit-il, tu pourras maintenant chevaucher à loisir. Ton cheval est guéri. Il ne souffrira plus. »
« J’en fus grandement soulagé et, après avoir vivement remercié le forgeron, je lui dis : « Ami, fais-moi savoir ton nom. – Volontiers, me répondit-il. On m’appelle Govannon. Je crois que je
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