Galaad et le Roi Pêcheur
grand cheval le valet susdit, criant : « Seigneur, n’as-tu pas vu passer un homme chevauchant le destrier que tu me demandais tout à l’heure ? – Si fait, répondit Perceval, mais pourquoi t’en inquiéter ? – C’est, dit le valet, qu’il me l’a ravi de force ! Et la mort sera ma récompense, car mon maître me tuera s’il me voit revenir sans son cheval. – Et que veux-tu que j’y fasse ? s’écria Perceval. Je ne saurais te ramener la bête, je suis à pied ! – Seigneur, reprit le valet, prends mon cheval, il sera tien si tu parviens à récupérer l’autre. – Je ne demande pas mieux », dit Perceval qui, sans perdre un instant, laça son heaume, prit son bouclier, sauta en selle et, du plus vite qu’il put, se lança à la poursuite du cavalier. En abordant une petite prairie, il aperçut celui-ci qui s’éloignait à vive allure de l’autre côté, et il le héla fortement : « Seigneur ! tourne bride, si tu m’en crois, et va rendre au valet le cheval que tu lui as ravi par vilenie ! » L’homme s’arrêta, tourna bride effectivement, mais pour foncer, la lance au poing, sur Perceval. Celui-ci n’eut pas le temps de se mettre en garde qu’avec une extrême violence l’autre lui transperçait sa monture et la tuait net avant de se précipiter au plus épais de la forêt. Affligé au point de perdre la tête, Perceval, démonté pour la seconde fois, hurla : « Maudit sois-tu ! lâche, couard ! Reviens, si tu l’oses, me combattre, toi à cheval, moi à pied ! » Mais l’autre n’eut cure de répondre et disparut dans les fourrés. Perceval jeta son bouclier, son épée, décoiffa son heaume et reprit de plus belle ses lamentations.
Il demeura là de la sorte, prostré, gémissant tout le reste du jour, sans que personne vînt le réconforter. Tant et si bien qu’à l’approche de la nuit il se trouva si las, si engourdi de tous ses membres, qu’il s’endormit comme une masse et ne se réveilla qu’au sein de ténèbres épaisses. Il distingua néanmoins la silhouette d’une femme qui, plantée devant lui, s’enquit d’une voix terrible : « Perceval, que fais-tu là ? » Il répondit qu’il ne faisait ni bien ni mal et que, s’il avait un cheval, il s’en irait très volontiers. « Si tu me promets, dit la femme, que tu feras ma volonté quand je t’en prierai, je t’en donnerai un, beau et fort, qui te permettra d’aller où tu veux. » À ces mots, le cœur de Perceval fut tout réconforté et, sans même s’interroger sur l’étrange femme, il se sentit prêt à promettre ce qu’elle exigeait. « Est-ce promesse de bon et loyal chevalier ? demanda-t-elle. – Assurément, répondit-il, je n’ai jamais failli à ma parole. – Dans ce cas, dit-elle, attends-moi, je reviens dans un instant. » Elle entra dans la forêt et ne fut pas longue à en ramener un cheval grand et magnifique, et si noir que c’était merveille.
En le regardant, Perceval éprouva comme un peu d’angoisse, mais son désir d’avoir un cheval était tel qu’il n’hésita guère et, prenant sa lance et son bouclier, sauta en selle. La femme lui dit encore : « Tu t’en vas, Perceval ? Souviens-toi que tu m’es redevable d’une récompense ! » Il réitéra sa promesse et s’en fut à vive allure par la forêt. La lune s’était levée, mais il ignorait où le menait le cheval, d’un galop si rapide en effet qu’en un instant il fut hors de la forêt et aperçut une vallée. Au milieu de cette vallée courait une rivière qui semblait large et profonde et vers laquelle se précipitait le cheval. Et de fait, sans ralentir l’allure, l’animal s’apprêtait à sauter quand Perceval, saisi d’effroi, leva instinctivement la main et fit le signe de la croix. En plein milieu de son essor, la bête poussa instantanément un hennissement furieux, s’ébroua au point de projeter Perceval à dix pas et se précipita dans la rivière où elle s’engloutit avec des hurlements qui faisaient courir des flammèches à la surface des flots noirs.
Le sol spongieux avait amorti la chute de Perceval et, tout étourdi qu’il fut, il comprit qu’il venait d’être la victime d’un stratagème diabolique. La créature ne lui avait donné de monture qu’afin de mieux l’entraîner dans les abîmes infernaux. Après une ardente prière où il remercia Dieu de l’avoir détrompé à temps et préservé d’un sort hélas certain, il s’éloigna de la
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