Galaad et le Roi Pêcheur
palefrois blancs qui s’arrêtèrent en le voyant, le saluèrent, puis l’une d’elles lui cria : « Seigneur chevalier ! tu as franchi des limites que personne ne doit dépasser ! Retourne d’où tu viens, il est encore temps ! – Le diable lui-même ne me ferait pas tourner bride ! » répliqua-t-il en continuant de galoper vers la forteresse. À peine arrivé sous les murailles, il vit un valet qui, s’avançant à sa rencontre, lui déclara que ses maîtres lui interdisaient d’aller plus avant s’il ne disait ce qu’il voulait. « Ce que je veux ? repartit Galaad : la coutume du château. – Eh bien ! tu l’auras ! dit le valet. Mais ce sera pour ton malheur, sache-le, car nul chevalier errant n’y a survécu. Attends-moi ici, que j’aille prévenir mes maîtres. – Va et fais vite, car je ne me sens nullement porté à la patience. »
Le valet avait à peine disparu dans la forteresse par la grande porte que Galaad en vit sortir sept chevaliers, armés de pied en cap, et qui fonçaient sur lui en criant : « En garde, chevalier ! défends ta vie ! – Comment ? s’étonna Galaad, vous prétendez donc m’attaquer tous ensemble ? – Oui, certes, répondirent-ils, car telle est la coutume. – C’est une coutume mauvaise ! s’écria Galaad, mais je m’engage à l’abolir ! – En attendant, défends-toi, à moins que tu ne préfères périr sans combattre ! »
Galaad fit bondir son cheval et, de sa lance, abattit le premier adversaire qu’il rencontra, et les autres eurent beau l’atteindre à son bouclier, ils ne réussirent pas à le désarçonner. Cependant, la violence du choc stoppa net son cheval et l’affola si bien qu’il se cabra, manquant le renverser. Puis, comme toutes les lances étaient brisées, les épées jaillirent des fourreaux, et il s’ensuivit une mêlée terrible et sans pitié. Le Bon Chevalier s’évertuait de son mieux et, sous son épée tranchante, il faisait voler par copeaux les armures de ses adversaires. Le sang ruisselait des blessures, et les montures hennissaient follement. Inquiets à la longue de voir celui qu’ils avaient défié déployer une énergie si prodigieuse et leur tenir tête à lui tout seul, les sept chevaliers, épuisés et tremblant de peur qu’il ne les mît à mort, finirent par tourner bride et s’enfuir au galop. Galaad aurait pu sans peine les rejoindre et leur faire payer très cher leur scélératesse, mais il préféra gagner directement la forteresse. Et il avait à peine franchi la poterne qu’il vit une multitude de jeunes filles se presser dans les rues et s’avancer vers lui en criant : « Seigneur ! sois le bienvenu ! Nous avons tant attendu notre délivrance ! Béni soit Dieu qui t’a envoyé à nous ! »
Saisissant son cheval par la bride, elles le menèrent en cortège vers un vaste bâtiment dressé en plein centre. Et toutes agitaient des écharpes et des voiles et chantaient leur joie. Quand il fut entré dans la grande salle, on l’aida à se désarmer. Alors, l’une des jeunes filles lui apporta un cor d’ivoire en disant : « Seigneur, si tu veux que ta victoire ne soit pas vaine, mande l’ensemble des chevaliers et des vassaux qui relèvent de ce château et fais-leur jurer de ne jamais rétablir la mauvaise coutume. Fais sonner, s’il te plaît, ce cor dont le son porte à plus de dix lieues. »
Galaad fit sonner le cor par un sergent qui se trouvait là, et, toutes les jeunes filles s’étant assises en cercle autour de lui, on lui conta l’histoire du château : « Il y a dix ans, les sept chevaliers que tu as vaincus vinrent ici par hasard et y furent hébergés comme de juste. À l’époque, le seigneur du château, le duc Lynor, était bien le meilleur et le plus sage des hommes. Or, durant la nuit qui suivit le repas, une querelle s’éleva entre lui et les sept frères, lesquels voulaient jouir à leur guise d’une des filles de leur hôte. Le duc ayant refusé de la leur livrer, ils le tuèrent et furent de la sorte à même de commettre impunément leur odieux forfait. Ensuite, ils s’emparèrent du trésor que conservait précieusement le duc ; ils s’installèrent en maîtres dans la forteresse et contraignirent tous les vassaux d’alentour à leur faire hommage. Ils combattaient toujours tous les sept ensemble, afin de triompher sans mal des chevaliers errants. Et il y a pire : ils mettaient à mal ou retenaient prisonnières, pour leurs
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