Galaad et le Roi Pêcheur
seulement assoupi. En fait, il sentait que quelque chose l’empêchait de faire le moindre mouvement. Il entendit alors le chevalier à la litière se plaindre devant la croix : « Ah ! Dieu ! disait-il, cette souffrance ne cessera-t-elle donc jamais ? Dieu ! quand viendra le saint vase grâce auquel doit s’atténuer ma douleur ? Ah ! Dieu ! jamais personne n’a tant souffert pour si petit méfait ! » Pendant ce temps, Lancelot demeurait toujours immobile et aussi muet que s’il eût été entre la vie et la mort. Et pourtant, il voyait nettement le chevalier et entendait chacune de ses paroles.
Tout à coup, il aperçut une chose bien étrange : le candélabre d’argent qui se trouvait dans la chapelle se dirigeait vers la croix, porté, eût-on dit, par des mains invisibles. Puis, sur une table d’argent dont on ne voyait pas davantage les porteurs, il remarqua avec stupeur la coupe d’émeraude qu’il avait déjà vue, il s’en souvenait, dans la demeure du Roi Pêcheur. Dès que le chevalier malade aperçut la coupe, il se laissa choir à terre, joignit les mains et dit : « Seigneur Dieu qui, de ce saint vase que je vois approcher, as fait tant de miracles en ce pays et en d’autres, Père, entoure-moi de ta miséricorde et accorde-moi bientôt d’être soulagé du mal qui me tourmente. » Des deux mains, il parvint à se hisser sur le rebord de la table, posa respectueusement ses lèvres sur celle-ci et, sur-le-champ, parut si soulagé des maux qu’il endurait qu’il s’écria : « Ah ! Dieu ! je suis guéri ! » Puis, il se recoucha dans la litière et s’endormit. La coupe d’émeraude demeura là quelque temps encore, puis, toujours portés par des mains invisibles, la table et le candélabre reprirent le chemin de la chapelle et y disparurent.
Lancelot ne pouvait toujours pas bouger, mais il regardait de tous ses yeux ce qui se passait autour de lui. Au bout d’un certain temps, le chevalier se réveilla, se souleva sans peine, mit pied à terre comme s’il n’avait jamais été malade et baisa la croix. Un écuyer survint qui, apportant de belles et riches armes, lui demanda comment il se trouvait. « Par ma foi, répondit-il, je me sens tout à fait bien, grâce à Dieu. J’ai été guéri dès que la sainte coupe est venue vers moi. Mais je suis fort surpris que ce chevalier endormi ne se soit pas même éveillé lorsque le Graal est apparu. – Il doit être coupable d’un bien grand crime, répondit l’écuyer, puisque Dieu n’a pas voulu qu’il fût témoin de ce beau miracle. – Certes, quel qu’il soit, il est certainement très malchanceux. Et je ne serais pas surpris qu’il fût l’un des compagnons de la Table Ronde, qui se sont engagés dans la quête du saint Graal. – Il se peut, dit l’écuyer, qui reprit : Seigneur, j’ai apporté tes armes afin que tu les endosses quand tu voudras. » Le chevalier se mit aussitôt en devoir de s’armer, enfila son haubert et ses chausses de fer ; puis l’écuyer alla chercher l’épée de Lancelot dans son fourreau et la lui remit. Le chevalier la ceignit à son côté, tandis que l’écuyer mettait le mors et la selle au cheval de Lancelot. « Seigneur, tu peux monter maintenant. Ce bon cheval et cette bonne épée seront mieux employés par toi que par ce mauvais chevalier. » La lune s’était levée, claire et brillante. Désormais prêt, le chevalier jura, la main tendue vers la chapelle, que jamais il ne cesserait d’errer avant d’avoir appris par quel miracle le saint Graal se manifestait en tant de lieux du royaume de Bretagne, par qui et dans quel but il avait été apporté dans cette île, si toutefois quelqu’un pouvait lui révéler tous ces mystères. « Tu en as assez dit, reprit l’écuyer. Que Dieu t’accorde la grâce de mener à bien cette quête et qu’il sauve ton âme, car tu courras souvent péril de mort. – Si je meurs, dit le chevalier, ce sera un honneur pour moi et non une honte, car il n’est honnête homme qui puisse refuser d’entreprendre cette quête-là. » Sur ce, suivi de l’écuyer, il s’éloigna dans la nuit, emportant avec lui les armes de Lancelot.
Il avait disparu depuis longtemps déjà quand Lancelot, enfin tout à fait réveillé, put bouger et se redresser. Il se demandait s’il avait rêvé mais, quand il se vit dépouillé de ses armes, il ne put douter que l’étrange scène qui s’était déroulée sous ses yeux n’eût
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