Galaad et le Roi Pêcheur
rive et s’assit au pied d’un arbre, bien résolu à veiller, cette fois, pour mieux résister aux assauts du démon. Quand le soleil parut, il se leva, et quelques pas lui suffirent pour se rendre compte qu’il se trouvait dans une île perdue au milieu d’un large fleuve inconnu. « Comment m’y prendrai-je, se demanda-t-il avec amertume, pour me tirer d’ici ? »
Il escalada un grand rocher en surplomb et, de là, examina les alentours : on ne voyait âme qui vive. Il se prit pourtant à espérer que quelqu’un passerait sur l’une ou l’autre rive, à qui il pourrait demander de l’aide, ou bien qu’un pêcheur viendrait poser ses filets non loin de là. Condamné à la patience, il se résigna, s’assit sur le rocher et attendit qu’un signe, quel qu’il fût, se manifestât. En son cœur, il ne pouvait s’empêcher de croire que Dieu, loin de l’abandonner, lui enverrait quelqu’un pour le tirer d’embarras.
Vers midi, il aperçut effectivement une nef qui fendait les flots comme si tous les vents du monde l’avaient poussée. Un tourbillon la précédait, qui agitait la surface des eaux et rejaillissait au point de cacher l’étrave. Or, quand la nef fut toute proche, Perceval vit qu’elle était tendue de draperies noires, en soie ou en lin. Délaissant la cime, il se précipita vers la berge et aperçut alors, assise sur le pont du navire, une jeune femme belle à ravir et vêtue avec la dernière somptuosité.
Sitôt qu’elle eut aperçu Perceval, la belle se leva et, sans même le saluer, l’apostropha en ces termes : « Perceval ! que fais-tu ici ? Qui t’a déposé dans cette île d’où tu ne saurais t’échapper que par aventure et où tu mourras de faim et d’ennui ? – Dame, répondit-il, si j’y mourais de faim, je ne serais pas un loyal serviteur. Or, ayant toujours servi Dieu loyalement, je sais qu’Il me viendra en aide. – Laissons cela, dit-elle. Sais-tu d’où je viens, Perceval ? – Dis-moi d’abord qui t’a appris mon nom ? – Je te connais mieux que tu n’imagines. – Soit. D’où viens-tu ? – Je viens de la Gaste Forêt. J’y ai vu la plus merveilleuse aventure du Bon Chevalier. – Ah ! s’écria Perceval, parle-moi du Bon Chevalier, pour l’amour de ce qui t’est le plus cher au monde ! – Je ne te dirai ce que je sais de lui que tu ne m’aies promis, par ton ordre de chevalerie, de faire ma volonté à l’instant où je te le demanderai. » Il promit de la faire s’il le pouvait. « Très bien, reprit la jeune femme, maintenant que j’ai ta promesse, il est juste que je te dise ce qu’il en est. Je me trouvais donc au cœur même de la Gaste Forêt, là où court la grande rivière qui a nom Marcoise, et je vis venir le Bon Chevalier. Il en poursuivait deux autres qu’il voulait tuer, à ce qu’il me sembla. Dans leur terreur, ils se jetèrent à l’eau et réussirent à passer sur l’autre rive. Le Bon Chevalier, lui, fut moins chanceux, car son cheval se noya, et lui-même n’échappa à la mort qu’en regagnant la rive qu’il venait de quitter. Voilà l’aventure du Bon Chevalier que tu voulais savoir. Dis-moi maintenant ce qui t’est arrivé. »
Perceval lui conta par quel sortilège il s’était retrouvé sur l’île et quelle était sa désolation d’y être en quelque sorte prisonnier. « Ah ! Perceval ! reprit-elle, je n’envie pas ta situation. Tu risques de périr sur cette île si personne ne t’en retire. Et tu vois bien que nul ne survient qui puisse te secourir. Or, si tu ne veux y mourir, il te faudra conclure un pacte. Et comme moi seule puis t’emmener d’ici, tu feras tout pour me complaire si tu es sage, car il n’est pire méfait que de pouvoir se sauver et de ne pas le faire. Et je veux que tu te sauves, fût-ce à ton corps défendant. – Mais qui es-tu donc pour mettre tant de zèle à me secourir ? – Une déshéritée qui serait la plus riche du monde si l’on ne m’avait dépossédée de mes biens. – Comment cela ? dit Perceval. Qui donc t’a déshéritée ? Je commence à avoir grande pitié de toi. – Tu le peux. Jadis, un homme riche me prit à son service en sa maison, et il était le plus puissant des rois. Quant à moi, telle était ma beauté que tout le monde s’en émerveillait, mais j’en conçus plus d’orgueil que je n’aurais dû et je dis un jour à mon maître une parole qui ne lui plut pas. Il en fut même si courroucé que, ne voulant
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