Galaad et le Roi Pêcheur
compagnons de la Table Ronde. – Raison de plus pour te hâter, jeune fille, de me procurer cheval et armes ! Indique-moi seulement où je dois me rendre, et je m’acquitterai sur-le-champ de ma dette envers toi. »
La jeune fille éperonna son cheval et repartit au grand galop du côté par où elle était venue. « Admire la bonté de Dieu ! dit l’ermite à Lancelot. Non seulement tu vas obtenir un cheval et des armes, mais tu pourras sauver l’un de tes compagnons. » En son cœur, Lancelot se réjouissait. Oh, comme il avait eu raison de faire une confession sincère ! Et cette pensée l’encourageait à résister aux tentations qui se présenteraient.
La jeune fille reparut bientôt, escortée d’un écuyer qui menait un magnifique destrier à la robe fauve et apportait des armes d’une blancheur immaculée. « Voici pour toi, Lancelot, dit-elle. Je te conduirai moi-même à la Chapelle Périlleuse où se trouve le suaire capable de guérir Méliot. Je sais exactement où elle est, nous y parviendrons à la nuit. Quant au Château des Griffons, il s’élève à l’autre extrémité de la forêt, mais en un endroit que j’ignore. Tout ce que je sais, c’est que la maîtresse des lieux est une femme de très haut lignage qui n’obéit guère aux ordres, que ceux-ci émanent de rois ou de simples chevaliers. – Mettons-nous en route », dit Lancelot qui, aussitôt armé, avait sauté en selle.
Il faisait déjà nuit quand ils arrivèrent à la Chapelle Périlleuse, l’île en pleine lande, entourée d’un cimetière. Lancelot s’arrêta et dit à la jeune fille : « Maintenant, rentre chez toi et veille sur Méliot. Je me charge de tout et ne reviendrai vers toi qu’avec l’épée, le suaire et la tête de griffon. Il vaut mieux que je sois seul pour agir. » La jeune fille tourna bride, après l’avoir recommandé à Dieu, tandis que, mettant pied à terre, il entrait dans le cimetière. Celui-ci était vaste et peuplé d’innombrables tombes sur lesquelles la lune versait des flots de lumière blanche. En avançant vers la chapelle, Lancelot eut l’impression que des gens s’agitaient dans le cimetière tout en discutant. Il tira son épée et cria d’une voix forte : « Qui que vous soyez, venez jusqu’à moi ! » Mais il eut beau répéter deux fois cette injonction, personne ne répondit, et les ombres mêmes qu’il avait cru distinguer s’évanouissaient. Ayant traversé le cimetière sans encombre, il parvint à la chapelle et en trouva la porte entrebâillée. Il poussa celle-ci et se risqua à l’intérieur. Une vague lueur lunaire qui filtrait au travers des fenêtres lui permit de distinguer, devant l’autel, un cercueil déposé à même les marches. Il s’en approcha et, sans hésiter, en leva le couvercle. L’homme tué par Méliot y gisait, enveloppé d’un drap blanc maculé de sang, et son épée reposait à son flanc. Saisissant celle-ci, Lancelot découpa un pan du suaire puis referma le cercueil et, sortant de la chapelle, retraversa le cimetière. Une fois encore, il eut l’impression que des silhouettes se démenaient derrière chaque tombe et s’entretenaient éperdument. Il s’arrêta, tendit l’oreille mais n’entendit plus que le bruit du vent. Poursuivant sa marche, il rejoignit son cheval et allait se remettre en selle quand il vit arriver sur un palefroi blanc une jeune femme vêtue de rouge et à la chevelure d’un brun profond. Deux autres femmes suivaient, qui montaient des mules.
Comme il les saluait courtoisement, la jeune fille vêtue de rouge lui demanda qui il était. « Pourquoi le cacherais-je ? répondit-il. On me nomme Lancelot du Lac. Je suis le fils du roi Ban de Bénoïc et je fais partie de la maison du roi Arthur. – Lancelot ! s’écria la femme, que le Ciel soit béni de t’envoyer ainsi vers moi ! Voilà si longtemps que je t’attendais ! Oh ! je t’en prie, il se fait tard, et ma demeure n’est guère éloignée, viens avec moi, je t’hébergerai comme jamais tu n’as été hébergé par aucune femme ! – Qui es-tu donc ? demanda Lancelot. – Moi non plus, je n’ai pas de raison de le cacher. Sache qu’on me nomme la Dame sans Égale. » À ce nom, Lancelot ne put s’empêcher de frémir, car Gauvain lui avait longuement parlé de cette femme qui aimait sans les avoir jamais vus ceux qu’elle considérait comme les meilleurs chevaliers du monde, à savoir Gauvain, Perceval et lui-même,
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