Galaad et le Roi Pêcheur
je ferai tout ce que tu me diras, si Dieu veut bien m’en donner la force. – Il te donnera cette force, assura l’ermite. Et maintenant, je te demande de promettre que jamais tu ne manqueras à ton Créateur en commettant péché mortel avec la reine ou avec aucune autre femme, ou en ne faisant rien qui puisse attirer son courroux. » Et Lancelot promit, sur sa foi de loyal chevalier, tout ce que demandait l’ermite.
Alors l’ermite le fit agenouiller et lui donna l’absolution. Puis il ajouta : « Chevalier, maintenant que tu es réconcilié avec Celui que tu avais offensé si gravement, prends garde de jamais retomber dans tes égarements. Veille à extirper de ton cœur les pensées terrestres et les délices du monde. Sache au surplus que ta chevalerie ne te sera d’aucun secours dans la quête que tu as entreprise si tu ne suis exactement la voie que t’indiquera l’Esprit Saint. Tu n’ignores pas en effet que le but en est de connaître certaines choses au sujet des merveilles du saint Graal et de la Lance qui saigne. Or, cette connaissance, Dieu l’a promise au chevalier digne de ce nom, c’est-à-dire celui dont la bonté comme la prouesse surpasseront les prouesses et la bonté précédentes et même celles de l’avenir. Ce chevalier, tu l’as vu, le jour de la Pentecôte, assis au Siège Périlleux de la Table Ronde, alors que personne avant lui n’avait pu le faire impunément. En lui réside le modèle de la chevalerie passée, présente et à venir. Et quand il aura tant fait qu’il ne sera plus de chair mais d’esprit, il dépouillera son habit d’ici pour entrer en céleste chevalerie. Cela, Merlin l’a prédit en prophète qui connaissait les grands secrets de ce monde comme de l’autre. Sache aussi toutefois que ce Bon Chevalier, Dieu l’a envoyé pour guider les autres dans cette quête et pour leur montrer le chemin qui mène aux saints mystères. Et voilà pourquoi tu dois poursuivre et mener à son terme l’aventure à laquelle tu as, de ton plein gré, décidé de participer. »
Ainsi parla le sage ermite, et Lancelot en éprouva grand soulagement. Malgré son chagrin et son dénuement, il se sentait renaître à l’espérance : oui, il mettrait tout en œuvre pour continuer la quête et accéder de son mieux aux mystères du saint Graal et de la Lance qui saigne. C’est ainsi qu’il demeura trois jours auprès de l’ermite afin, grâce aux conseils de celui-ci, de parfaire sa résolution de réformer son existence {19} .
Au matin du quatrième jour il se tenait devant la porte de l’ermitage et s’apprêtait à prendre congé de son hôte quand survint une jeune fille montée sur un palefroi richement harnaché. Elle s’arrêta et, sautant à terre, se dirigea droit sur Lancelot. Celui-ci, un peu interdit, lui souhaita la bienvenue en son nom propre et au nom de l’ermite. Elle s’agenouilla alors devant lui et, d’un air bouleversé, s’écria : « Lancelot ! je ne pensais pas te trouver ici ! C’est Dieu, je crois, qui m’a guidée vers toi ! » En la voyant si émue, Lancelot lui demanda ce qui la tourmentait si fort. « Hélas ! dit-elle, je me meurs d’angoisse. Hier soir, d’infâmes chevaliers m’ont assaillie devant ma forteresse. Ils voulaient m’emmener de force et ensuite abuser de moi. Alors est intervenu un autre chevalier, lui digne d’éloge et de gloire, hélas ! Car s’il a pris ma défense et déconfit mes agresseurs, il a été, par malheur, grièvement blessé au cours du combat par l’un des ennemis qu’il a tué. Or, mon médecin prétend ne pouvoir le sauver qu’en appliquant sur sa plaie l’épée et un morceau du suaire sanglant de son adversaire, ainsi qu’une tête de griffon. Il m’a indiqué où trouver ce suaire et cette tête, mais j’ai grand-peur d’échouer dans mon entreprise.
— Certes, voilà qui est triste, dit Lancelot. Si je pouvais te venir en aide, je le ferais volontiers, mais je n’ai ni cheval ni armes. – Qu’à cela ne tienne, répondit la jeune fille, je puis te fournir, avec un bon destrier, des armes dont tu n’auras pas à rougir. Accorde-moi seulement le temps de retourner en ma forteresse, pour te faire envoyer ce qui te manque. – Tu ne sais pas de quel embarras tu me tires, jeune fille ! reprit Lancelot, et il est juste que j’accomplisse pour toi la quête de ce qui peut sauver le chevalier blessé. – Tu le connais, Lancelot, c’est Méliot, l’un de tes
Weitere Kostenlose Bücher