Galaad et le Roi Pêcheur
recommandé de veiller sur Méliot, il remonta en selle et quitta la forteresse {20} .
Il chevaucha longtemps dans la forêt, ne sachant quelle direction prendre. Au milieu de l’après-midi, il rencontra un valet qui lui demanda : « Seigneur chevalier, qui es-tu ? – Je suis, répondit-il, de la maison du roi Arthur. – Et quel est ton nom ? » Il dit alors qu’il se nommait Lancelot du Lac. « Lancelot, reprit le valet, ce n’est pas toi que je cherchais, car tu es l’un des plus malheureux chevaliers du monde. – Bel ami, dit Lancelot, comment le sais-tu ? – Je le sais fort bien. N’es-tu pas celui qui vit de ses yeux le saint Graal apparaître et opérer un miracle, mais qui, devant cette merveilleuse vision, ne bougea pas plus qu’un mécréant ? – Si fait, dit Lancelot, j’ai vu le saint Graal et je n’ai pas bronché. J’en ai le cœur bien assez lourd. – Cela n’est guère honorable, reprit le valet. Tu as ainsi démontré que tu étais un chevalier non pas vrai mais déloyal et indigne. Ne t’étonne plus désormais si la honte en rejaillit sur toi au cours de la quête que tu as entreprise et que tu ne saurais mener à son terme. Ah ! pauvre failli, tu peux en éprouver grande tristesse, toi qui passais pour le meilleur chevalier du monde et que l’on tient maintenant comme le pire ! » Lancelot ne sut que répondre, car il se sentait tout à fait coupable du forfait dont on l’accusait.
Il finit cependant par prendre la parole : « Bel ami, murmura-t-il, dis ce que tu voudras, je t’écouterai mais ne répondrai plus. Un chevalier ne doit pas se mettre en courroux pour les paroles d’un valet. – Mais force t’est de m’écouter, reprit le valet, quoique tu n’aies nul profit à en espérer. Tu as été la fleur de la chevalerie terrestre, il est vrai. Pauvre chétif qui t’es laissé envoûter par une femme qui ne t’aime même pas, qui fait aussi peu de cas de ton honneur que de ton salut ! Elle t’a si bien séduit que tu as perdu confiance en Dieu et que te voici réduit à subir toutes les hontes de la terre. » Et, sans que Lancelot répondît, le valet ne cessa de l’injurier jusqu’au moment où il fut las de s’adresser à un muet. Il s’en alla alors, laissant Lancelot perdu de tristesse, immobile, indifférent à tout, comme s’il était brisé.
Comme le jour baissait, Lancelot se décida à reprendre la route. Il aperçut alors une damoiselle montée sur un palefroi blanc qui survenait à vive allure. Dès qu’elle le vit, elle le salua et dit : « Seigneur chevalier, où vas-tu ? – Jeune fille, répondit Lancelot, je l’ignore. Je vais seulement là où l’aventure me mènera, car je ne sais où je pourrais trouver ce que je cherche avec tant d’ardeur. – Je sais, moi, ce que tu cherches, reprit-elle. Tu en as été jadis infiniment plus proche que maintenant. Cependant, tu en es actuellement plus proche que tu ne penses. – Jeune fille, soupira-t-il, tes paroles sont difficiles à comprendre, tant elles sont contradictoires. – N’essaie pas de comprendre et tu verras bien par toi-même ce qu’il en est », répliqua la jeune fille. Et elle allait s’éloigner quand Lancelot lui demanda encore où il pourrait loger ce soir-là. « Tu ne trouveras pas de gîte aujourd’hui, je te le garantis, dit-elle, et pas davantage demain. » Et, là-dessus, elle éperonna son cheval et disparut dans les bois.
Lancelot se remit lentement en route, et l’obscurité le surprit à la fourche de deux allées que marquait une grande croix de bois et au pied de laquelle il décida de passer la nuit. Ayant mis pied à terre, il ôta à son cheval le mors et la selle, et le laissa paître tranquillement l’herbe tendre. Puis il retira son heaume, s’agenouilla et se mit à prier. Mais sentant le sommeil l’envahir, il s’allongea, la tête appuyée contre une pierre et ne tarda pas à s’endormir, tant l’oppressaient la fatigue et le chagrin.
Le lendemain, lorsque le soleil commença à briller, il se leva, sella son cheval, prit son heaume, son bouclier et sa lance et il reprit la route, toujours aussi plongé dans ses sombres pensées. Vers le milieu du jour, il arriva dans une grande clairière devant une forteresse cernée de hauts murs et de larges fossés. Dans la prairie se trouvaient une bonne centaine de tentes en drap de soie de diverses couleurs, et cinq cents chevaliers au moins étaient occupés à jouter les uns
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