Galaad et le Roi Pêcheur
sitôt. Allons le voir tout de suite. »
Toutes deux se rendirent alors à l’endroit où gisait Lancelot endormi. À le voir ainsi, la Dame fut bouleversée dans tout son être, et le désir s’épanouit en elle jusqu’à devenir intolérable. « N’est-il pas beau ? murmura-t-elle. N’est-il pas le meilleur chevalier du monde, le plus généreux, le plus audacieux ? Ah ! bienheureuse la femme qui saurait se l’attacher pour jamais ! » Elle s’agenouilla, se pencha sur Lancelot, toujours immobile, et lui imprima sur les lèvres trois longs baisers.
Lancelot sursauta et se redressa, bousculant la Dame et ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Puis il aperçut les deux femmes et se mit debout. « Où suis-je ? demanda-t-il. – Tu es dans mon verger. Nous t’y avons découvert endormi. » Lancelot regarda la Dame et la reconnut pour l’une des compagnes de Morgane. Il l’avait en effet vue bien des fois quand le retenait prisonnier la sœur du roi. Il la salua et dit : « Dame, j’étais si fatigué cette nuit que je me suis arrêté dans ce verger pour m’y reposer. Mais je ne saurais m’attarder davantage, car il y va de la vie d’un des compagnons du roi Arthur. Je dois au plus vite me rendre au Château des Griffons. » La Dame éclata de rire. « Eh bien, Lancelot, dit-elle, tu t’y trouves précisément. Sache qu’on m’appelle maintenant la Dame des Griffons. – Alors, Dame, pour l’amour de Dieu, je te prie de me remettre la tête d’un de tes griffons afin que soit sauvé celui qui est si malade. – Lancelot, rétorqua la Dame, je sais bien des choses quant à la blessure de Méliot, puisque c’est de lui qu’il s’agit. Sache que la tête d’un de mes griffons n’est pas nécessaire pour le guérir : l’épée et le suaire de l’homme qui l’a blessé suffisent. Maintenant, viens avec nous jusqu’au manoir, je t’y ferai servir nourriture et boisson. – Je ne puis, Dame, car il me faut partir tout de suite. – Dans ce cas, reprit la Dame, jure-moi de me revenir dès que Méliot sera guéri. – C’est impossible, répliqua Lancelot avec force, et je ne te ferai nul serment de ce genre. » Or, la Dame des Griffons sentait son désir croître et l’embraser. « Lancelot, reprit-elle, c’est mon amour que je t’offre, ainsi que tous mes biens. En vain tu t’obstines dans l’absurde quête où tu t’es engagé. Tu n’es pas celui qui découvrira les mystères du saint Graal, et d’ailleurs tu le sais fort bien. Va porter le suaire et l’épée à Méliot puis reviens à moi. Je ne te demande même pas de t’y engager par serment. Fais-le seulement pour l’amour de moi. » Lancelot se trouva fort embarrassé, car il ne voulait certes pas peiner la Dame des Griffons. « C’est impossible », se contenta-t-il de répéter. Puis il sella et harnacha son cheval, remit son heaume et son haubert et se dirigea vers la porte du verger. « Lancelot ! Lancelot ! dit encore la Dame avant qu’il ne disparût, tu seras honni au cours de cette quête ! Alors, tu te souviendras de moi et tu reviendras ! »
Lancelot se hâta vers la forteresse où la jeune fille qui l’avait conduit à la Chapelle Périlleuse veillait sur Méliot. Il remit aussitôt à celle-ci l’épée et le suaire, et elle se précipita vers la chambre où gisait le blessé. Aussitôt qu’elle eut appliqué la lame et le linge sanglant sur la plaie, celle-ci se referma, et Méliot tomba dans un profond sommeil après avoir murmuré qu’il ne ressentait plus aucune douleur. La jeune fille revint alors vers Lancelot et lui dit : « Chevalier, béni sois-tu d’avoir accompli cet exploit. Grâce à toi, Méliot est sauvé, à la grande joie de mon cœur, car voilà longtemps que je l’aime, et je ne me serais jamais consolée de sa mort. Quant à toi, s’il te plaît, demeure ici tant que tu veux. Tu seras mon hôte et je te recevrai en grand honneur. – Jeune fille, je te remercie, répondit Lancelot, mais je suis engagé dans la quête et dois la poursuivre jusqu’à son terme. – Lancelot, Lancelot, reprit la jeune fille, pourquoi t’obstiner dans cette quête et ce malgré tous les avertissements que tu as reçus ? Tu n’es pas celui qui découvrira les mystères du saint Graal. Dans cette quête, sache-le bien, tu n’obtiendras que honte et déception. » Lancelot hocha tristement la tête, car il savait bien qu’elle avait raison. Néanmoins, après lui avoir
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